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leur effort pour se dégager de l’imitation servile, ils ont retrouvé l’audace des parti pris d’ombre et de lumière, la volonté des effets d’ensemble, qui manquent à nos impressionnistes. Beaucoup de leurs paysages sont traités par grandes masses, le premier plan largement ombré, la lumière repoussée au second, et toutes les petites lueurs reflétées, délibérément noyées dans l’ensemble, afin d’obtenir un effet franc et général. Il existe un Potier, de M. Declercq, que par son violent parti pris d’ombre diffuse et de saisissante clarté ramassée en un seul point, on dirait une eau-forte de Rembrandt, Le magnifique portrait de Ruskin par M. Frederick Hollyer, où, seul, l’extrême profil de l’esthéticien est tiré de l’ombre par la lueur de la fenêtre, accuse, chez le photographe, un plan préconçu d’éclairage caractéristique. Le papillotement impressionniste est proscrit, M. Puyo l’avoue : « La direction des faisceaux de lumière qui éclairent une figure peut être quelconque, mais leur intensité relative doit obéir à une loi : il faut que l’un des faisceaux employés soit nettement dominant en intensité et que tous les autres lui soient nettement subordonnés. »

Avec la dispersion de l’effet, l’école naturaliste enseignait l’inutilité ou l’indifférence du sujet. Là encore, les nouveaux photographes sont amenés, par les conditions mêmes de leur art, à une réaction dans le sens classique. Ne pouvant compter autant que les peintres sur leur imagination, ils en viennent à chercher la beauté dans la nature elle-même. Ne pouvant espérer l’atteindre uniquement par l’interprétation, ils la veulent d’abord dans l’objet interprété. C’est, non plus seulement à leurs rêves, mais à la réalité, qu’ils demandent d’être une chose belle. Le sujet redevient alors tout de suite digue de considération. Il ne s’agit pas ici du « sujet », tant méprisé par les novateurs d’il y a vingt ans, et méprisé avec raison, si l’on entend par là l’histoire bouffonne ou sentimentale, le « site » numéroté par les guides, où d’ingénieux industriels tiennent à la disposition des touristes une chaise, une lunette d’approche et du soda. Il s’agit de ce que M. Jules Breton appelle très justement le « sujet esthétique », une puissante ordonnance de nuages sur la mer, comme dans une photographie de M. Origet, une symphonie de branches emmêlées pour résister au vent et tendues vers le ciel pour prendre dans l’air leur nourriture, comme on en a vu dans les photographies de M. Dardonville, Etang du parc de Rambouillet, et de Mme Dansaert, At Home ; un groupement gracieux de jeunes filles