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LE DÉSASTRE.

Du Breuil tristement rentrait à l’éternel Ban Saint-Martin. Marquis, rencontré sur la place Fabert, lui confia que le Comte de Paris était roi de France, avec Thiers et Trochu pour ministres. La paix était signée, elle nous coûtait quatre milliards. Marquis paraissait désolé :

— Juste au moment où les gens résolus allaient percer !

Le 24, pluie torrentielle. Frisch, en poussant la porte, apportait avec ses sabots la boue et le froid du dehors :

— Mon commandant, il n’y a plus d’avoine pour Cydalise. Mais j’ai trouvé un sac de graine de betteraves à acheter. Le cheval du capitaine Restaud est bien malade. — Il hasarda : — On dit qu’il y a des régimens où les hommes pleurent de faim.

Trois heures après, l’arrivée d’un parlementaire, apportant une dépêche de Frédéric-Charles, détruisait les dernières espérances de Bazaine : Bismarck télégraphiait l’échec de Boyer. L’Impératrice s’était refusée à toute espèce de transaction, comme à tout traité ayant pour base une cession de territoire. Le Gouvernement impérial, décidément, ne rencontrerait en France aucun appui. Le roi ne voulait pas l’imposer. Le maréchal n’avait d’ailleurs donné aucune des garanties demandées comme base première de toute convention, c’est-à-dire la cession de la ville de Metz et la signature des chefs de l’armée reconnaissant la Régence et s’engageant à la rétablir. Dans ces conditions, il n’y avait plus lieu de continuer les négociations politiques. La question se posait militairement ; c’était aux événemens de la guerre à la résoudre.

Chose étrange. Du Breuil la pressentait, l’attendait, cette réponse du chancelier ; et pourtant elle le frappa d’une déception si cruelle qu’une rage indicible lui montait au cœur. Le maréchal et son conseil joués, dupés ! L’Impératrice, avec une grandeur digne, refusait de s’entremettre, la partie de l’Empire était perdue depuis le premier jour. Bismarck, en faisant luire le mirage des négociations, nous avait acculés à l’épuisement final ! Il levait le masque, maintenant ! Quel parti allait prendre le Conseil, convoqué sur l’heure ? quelles résolutions énergiques et désespérées ?…

Quand ce Conseil interminable prit fin. Du Breuil et ses compagnons apprirent que le recours aux armes était jugé impossible. Crédules jusqu’au bout, Bazaine et son Conseil investissaient le général Changarnier de la pénible mission de parlementer avec le vainqueur. Avec l’autorité de son nom illustre, le vétéran con-