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les gens de science. Les Allemands y trouvent une profondeur inouïe ; quant à moi. je trouve que cela vaut moins que Candide ; c’est tout aussi immoral, aride et desséchant, et il y a moins de légèreté, moins de plaisanteries ingénieuses et beaucoup plus de mauvais goût. » En vrai fils du XVIIIe siècle, Constant ne pardonnait pas à Goethe sa « dérision des gens de science. » Mais, en vrais fils du XIXe siècle, les romantiques lui firent un mérite de cela même qui avait si fort dérouté Mme de Staël. Elle s’était refusée à discuter la pensée de Gœthe, ne trouvant pas de pensée dans Faust : « Une telle composition doit être jugée comme un rêve... » Ce fut comme un rêve en effet que les lecteurs jugèrent le poème, et ils surent gré à l’auteur de n’avoir mis — ils se plurent du moins à le croire — qu’un rêve de poète dans son livre.

Dès 1823, Sainte-Aulaire et Stapfer avaient traduit Faust, l’un très inexactement, l’autre très gauchement. Dès 1827, Ampère faisait dans le Globe un éloge dithyrambique du poème. Mais ce ne fut qu’en 1828 que l’œuvre put être enfin goûtée, dans une traduction vraiment littéraire, par les lecteurs français. Gœthe exprimait un jour à Eckermann le désir de la voir mise en français « dans le goût du temps de Marot. » Ce ne fut pas en français du XVIe siècle, mais en français romantique que la mit l’excellent et naïf Gérard de Nerval, et, si sa traduction n’est pas un modèle d’exactitude, elle eut du moins le mérite de rendre avec vivacité et grâce l’allure de l’original.

Saurons-nous beaucoup de gré à Faust d’avoir produit le Souper du Commandeur de Blaze de Bury ou un épisode du Don Juan de Marana de Dumas père ? ou encore d’avoir influencé dans une certaine mesure Soumet pour sa Divine Épopée et Eugène Robin pour sa Livia ? Même, le Faust. de Nodier fait-il grand honneur à l’influence de Gœthe ? Bien hardi qui le soutiendrait. Aussi bien, n’est-ce pas dans les imitations directes que s’exerce, d’une manière féconde, l’influence des chefs-d’œuvre, et toutes les adaptations de Faust ne vaudront jamais l’immortelle apostrophe de Rolla à « l’athée à barbe grise » :


Faust ! n’étais-tu pas prêt à quitter la terre,
Dans cette nuit d’angoisse où l’archange déchu,
Sous son manteau de feu, comme une ombre légère,
T’emporta dans l’espace à ses pieds suspendu ?...


— Peu de livres, en fait, ont remué plus profondément la pensée