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Guerre, et qui a été depuis envoyé en garnison en Tunisie pour des motifs encore mal connus. On raconte que le colonel Picquart est arrivé, par l’exercice même de ses fonctions, à se convaincre de l’innocence de Dreyfus, et qu’il s’est empressé d’en faire part à ses chefs, en produisant ce qu’il regardait comme des preuves. S’il en est ainsi, le colonel Picquart a rempli son devoir. On raconte encore qu’il ne s’en serait pas tenu là, qu’il aurait fait les mêmes confidences à d’autres, et qu’il leur aurait également fourni des preuves empruntées à ses dossiers. C’est, en particulier, l’allégation du comte Walsin-Esterhazy : il aurait appris le fait par une ou par plusieurs dames voilées qui lui donnaient des rendez-vous à la nuit tombante. S’il en est ainsi, le colonel Picquart a gravement manqué à ses devoirs professionnels : toutefois, il aurait pu manquer à ses devoirs professionnels et se mettre personnellement dans un mauvais cas, sans avoir trahi la vérité. Il n’avait pas le droit de communiquer à d’autres que ses chefs des renseignemens puisés dans des dossiers officiels ; mais, quand même il l’aurait fait, cela ne prouverait pas que les renseignemens étaient faux. Il y a là deux questions très différentes, qu’il importe de ne pas confondre. Au reste, on ne sait rien de précis sur le colonel Picquart. Il a été rappelé, ou plutôt appelé de Tunis : est-ce à titre de témoin ? est-ce à titre d’accusé ou de suspect ? On a cru d’abord que c’était à titre de témoin ; puis on a appris que, pendant qu’il était en mer, une perquisition a eu lieu dans ses papiers. Nous ne sommes pas assez jurisconsulte pour savoir si cette perquisition, dans les conditions où elle s’est produite, était légale : on affirme généralement le contraire. En tout cas, elle était maladroite. Il aurait mieux valu attendre le colonel pour opérer en sa présence le dépouillement de ses papiers. Mais comment a-t-on perquisitionné chez lui, s’il n’a pas changé de caractère aux yeux du général enquêteur, à moins d’admettre qu’il en est quelquefois des enquêtes militaires comme de ces duels où on tire sur les témoins ? Faut-il donc croire que le colonel soit l’objet d’une information judiciaire ? On ne sait pas encore s’il en sera jamais ainsi pour le commandant Walsin-Esterhazy : cette différence de traitement est de nature à étonner. Mais on aurait trop à s’étonner, si l’on s’étonait de quoi que ce soit, si l’on ne prenait pas le parti de ne s’étonner de rien. Encore une fois, il faut attendre. Tout ce que nous souhaitons, c’est qu’on évite autant que possible les coups de théâtre, lorsqu’ils ne sont pas indispensables, — et la perquisition faite chez le colonel Picquart en son absence ne l’était pas. — Et que penser du prétexte dont on a usé pour tromper la sagacité du concierge ? On