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80i REVUE DES DEUX MONDES. faire dans l’administration du Piémont. » Les malheureux Piémontais apprennent ce que sont les exactions pratiquées avec méthode par un pouvoir d’ancien régime. La conquête française ne leur en avait donné qu’une idée grossière et incomplète. En pareil cas, le dernier venu est celui qui laisse les pires souvenirs ; ceux que laissèrent les Autrichiens ne s’effacèrent plus. Thugut ne dissimule pas ses vues de démembrement, sinon d’annexion totale. C’est, écrit de Vienne lord Minto, « le pivot de toute la politique impériale. »

Les Anglais s’y prêtent : il est de leur intérêt de former avec le Piémont, livré à l’Autriche, une seconde Belgique, enserrant et barrant la France, au midi, comme l’autre, donnée à la Hollande, l’enfermera au nord. Mais le tsar Paul ne l’entend point de la sorte. A l’appétit que montre l’Autriche, elle menace de tout dévorer, même le Pape. Il prend en mauvaise part les récriminations de Thugut contre Souvorof. L’Autrichien accuse ce général de sortir de son rôle de chasseur de Français, pour se mêler de restaurer des rois. Cependant les victoires se précipitaient avec une rapidité si déconcertante pour l’Autriche, qu’il jugea nécessaire de se prémunir. Il fit faire à Pétersbourg des ouvertures en vue de la paix à dicter aux Français et du partage de leurs dépouilles. Paul se montra disposé à s’en expliquer ; il pensa même à un congrès qui se tiendrait à Pétersbourg, et consacrerait cette suprématie qu’il prétendait s’attribuer en Europe. Mais s’il persistait à vouloir « ramener la France à des limites convenables et à l’empêcher de nuire », ce n’était pas pour rétablir l’empire de Charles-Quint. « Guidé par l’honneur, écrivit-il, le 30 juillet, à son ambassadeur à Vienne, Rasoumowsky, j’ai couru au secours de l’humanité, j’ai consacré des milliers d’hommes pour assurer son bonheur. Mais pour avoir pris la résolution d’anéantir le colosse français actuel, je n’ai jamais voulu souffrir qu’un autre prenne sa place et devienne, à son tour, la terreur des princes qui l’avoisinent, en envahissant leurs Etats. »

Rasoumowsky en confère avec Thugut. L’Autrichien repousse bien loin l’idée d’un congrès. Les petites puissances y voudraient être représentées ; elles prétendraient se mêler de leurs propres affaires, ce qui ne les regarde point. L’envoyé russe presse Thugut de s’expliquer, et Thugut se répand en digressions sur les droits « imprescriptibles » de l’Autriche à des dédommagemens : il lui en faut pour le partage de la Pologne de 1793, il lui en faut