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pour la perte des Pays-Bas, il lui en faut pour ses dépenses dans la guerre actuelle ! Mais quels territoires exigeait-il précisément ? Il se dérobe, sur cet article, aux questions de Rasoumowsky, sauf à se découvrir peu à peu, avec les Anglais, de préférence. En réalité, il voulait les passages des Alpes, afin d’empêcher les Français de descendre en Italie, et cela emportait le démembrement du Piémont ; il joindrait les meilleures pièces de ce royaume à la Lombardie, et à Venise, grossie des Légations, flanquée de la Toscane, sorte de fief de la maison d’Autriche. Le reste, Parme, Modène, le Pape réduit à Rome, Naples trembleraient. C’est la conception que Metternich reprit en 1813 et 1814. Enfin, à Malte, les Anglais et les Russes, arrêtés par l’énergique défense des Français commandés par Vaubois, se querellent sur la possession de la place qu’ils n’ont pas encore prise. Nelson la destine à ses amis de Naples ; les Russes y veulent rétablir, sous leur tutelle, l’ordre des chevaliers et s’en faire une station dans la Méditerranée.

La dispute aurait pu durer longtemps et s’envenimer, si les Anglais ne s’en étaient mêlés. Ils payaient la guerre ; ils entendaient que la guerre leur rapportât la paix profitable qu’ils en attendaient. Bon gré, mal gré, il fallait faire marcher de concert, sinon la politique, au moins les armées de la Russie et de l’Autriche. Pitt suggéra un plan qui lui parut propre à mettre ces cours d’accord, pendant le temps nécessaire à l’action, et à les employer, toutes deux, à l’intérêt anglais. Le plan, qui devait être repris en 1804, en 1809, en 1813, et exécuté seulement en 1814, consistait à pousser à fond contre les Français, en profitant des troubles intérieurs de la République. La campagne terminée en Italie, on porterait Souvorof en Suisse, on y concentrerait 60 000 Russes, qui chasseraient les Français devant eux et entreraient en Franche-Comté. Les Autrichiens, qui auraient la garde du Piémont, envahiraient la France par la Savoie ; l’armée de l’archiduc Charles, dirigée sur le nord, donnerait la main aux Anglo-Russes, débarqués en Hollande, et la République, déchirée, entreprise partout à la fois, succomberait infailliblement. Ce dessein eut le rare avantage de satisfaire le tsar et l’Empereur. Le tsar vit Souvorof et ses Russes maîtres d’agir à leur guise en Suisse, et de rétablir les Bourbons en France ; il donna son approbation le 22 juillet. L’Empereur se vit débarrassé des Russes en Italie, libre de s’installer en Piémont et de n’y point restaurer le roi, libre d’aller à Rome et de garder les Légations, libre enfin de peser