Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/825

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voit la cote monter, proteste et s’indigne quand sonne l’heure de la débâcle. Si prévue qu’elle soit, la baisse semble toujours surprendre ; beaucoup, au début, n’y veulent pas croire ; ils s’en montrent presque aussi étonnés que s’ils entendaient à l’improviste la trompette du Jugement. Souvent, on y prétend reconnaître une manœuvre déloyale, une conjuration contre le public, dont on demande, bruyamment, la punition à l’autorité.

Rien de plus simple, cependant, et de moins mystérieux que la genèse des crises de Bourse. Elles passent, presque toujours, par les mêmes phases, comme ces maladies dont le cours est connu d’avance et l’issue aisée à prévoir. S’il n’y avait, à la Bourse, que des hommes d’affaires, des financiers, des banquiers, les crises seraient plus rares et les chutes moins profondes. Ce qui en fait la fréquence et la gravité, c’est, le plus souvent, l’intervention du public ; car, en se jetant tout entier d’un côté, le public accroît, de tout son poids, l’amplitude des oscillations de la cote. La Bourse attire à la fois la ville et la province ; à certaines heures, grands et petits s’y précipitent en même temps, se portant tous d’habitude sur les mêmes valeurs : tantôt sur les rentes exotiques, tantôt sur les chemins de fer, plus souvent sur les sociétés de crédit, sur les mines d’or ou les mines de cuivre, ou, comme aujourd’hui, sur les valeurs industrielles. En réalité, le phénomène relève moins de la finance ou de l’économique que de la morale ou de la médecine. Il y entre comme une obsession contagieuse. La psychologie de la Bourse et des crises de Bourse est toujours la même. Elle se rattache à la psychologie ou, si l’on aime mieux, à la physiologie des foules. Elle n’est pas sans parenté avec la psychologie des révolutions ; la foule y passe de même, successivement, par des heures d’enthousiasme fiévreux, de déceptions irritées, et de dépression lasse. On y retrouve, aussi, une sorte d’ivresse en commun, de suggestion réciproque et d’exaltation mutuelle qui grandit à mesure qu’elle gagne en nombre : vires acquirit eundo. Des banques, des sociétés, des mines viennent à monter : le public y accourt ; les timides, ceux qui, au début, n’ont pas osé entrer dans la danse, se repentent de leur sagesse et s’efforcent de rattraper le temps perdu, si bien qu’on voit les plus prudens acheter au plus cher. Plus elle devient vertigineuse, plus la hausse attire la foule. C’est toujours, au fond, la même histoire, celle de la compagnie du Mississipi et de la rue Quincampoix, au temps de Law.

La hausse provoque la hausse jusqu’au jour de la chute ;