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jamais, et elle avait une façon impayable de cligner, en parlant, ses petits yeux gris. Elle demanda d’abord familièrement au général « comment il se portait » ; puis, d’une voix aiguë : « C’est vous sans doute, lui dit-elle, qui commandez tous ces Yankees qui se sont abattus sur ce pays ! » Et, le général lui ayant fait signe qu’en effet c’était lui : « Eh bien ! poursuivit cette dame, je suis enchantée que le général Lee vous ait chassés jusqu’ici, et qu’à présent il vous ait mis tout juste dans la position où il désirait vous voir ! »

« Sur quoi elle prit un pliant dans la tente du général et s’y installa ; et, devenant plus familière encore devant le bon accueil que recevaient ses remarques : « Oui, poursuivit-elle, et avant qu’il soit longtemps, Lee vous aura refoulés à travers la Pensylvanie. Est-ce que vous étiez là-bas, en Pensylvanie, l’été passé, quand il vous a fait une si belle chasse ? — Non, répondit très sérieusement le général, je n’y étais pas, je me trouvais occupé ailleurs. » Il ne prit pas la peine de lui expliquer que Vicksburg avait, à ce moment, accaparé toute son attention. Et elle dit encore : « Voyez-vous, je suis seule dans ma maison, et je suis sûre que vos maudits Yankees vont me voler tout ce que j’ai, et par-dessus le marché me tuer avant demain matin, si vous ne me donnez pas quelqu’un pour me protéger, — C’est bien, répliqua Grant, nous allons veiller à ce qu’il ne vous arrive aucun mal ! » — Et, se tournant vers le lieutenant Dunn, de son état-major : « Dunn, lui dit-il, vous devriez aller loger chez cette dame, la nuit. Vous y seriez vous-même plus à l’aise qu’au camp, et je tiens à ce qu’elle n’ait aucune inquiétude. »

L’autre anecdote est plus courte, mais ne manque pas de piquant. Un journaliste ayant écrit à New-York que le général Meade, un des assistans de Grant, était d’avis de battre en retraite, celui-ci, d’accord avec tous ses hommes, fit saisir le diffamateur, lui fit attacher sur le dos et la poitrine des pancartes portant, en grosses lettres : Un menteur de la Presse, et, dans cet état, le fit promener sur un cheval à travers le camp.

La même familiarité, le même manque d’apprêt, se retrouvent dans les relations des officiers entre eux. Quand Grant, en août 1864, reconnaît l’absolue nécessité de remplacer le général Hunter par le général Sheridan à la tête d’une de ses armées, il ne peut cependant prendre sur lui d’annoncer à Hunter une aussi dure nouvelle : il se résout à partager le commandement entre les deux généraux, et c’est Hunter lui-même qui lui déclare que, dans les circonstances présentes, Sheridan sera plus apte que lui à diriger son armée.