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ministre des affaires étrangères, M. de Bulow, a parlé en homme politique et en homme d’esprit. Comme l’opposition reprochait au gouvernement d’aller aux aventures, il a montré le prince Holenlohe et, se découvrant lui-même : « Avons-nous l’air, a-t-il dit, d’être des aventuriers ? » Son succès personnel a été vif, mais ce n’est pas son discours qui déplacera la majorité. On commence pourtant à croire qu’elle sera changée, grâce à un travail considérable poursuivi dans les couloirs, comme on dirait à Paris, et qui a fait reluire, aux yeux de certains partis, l’espérance des concessions auxquelles ils tiennent le plus. Le projet, néanmoins, sera modifié dans la forme. On ne demandera probablement pas au Reichstag de s’engager dès aujourd’hui pour sept années, mais seulement pour deux, peut-être même pour une. Le fond restera le même, et comme la dépense de la première année se rapporte à la septième partie d’un plan qui doit inévitablement être réalisé tout entier, après cette partie, il faudra bien passer à une autre et la payer conformément aux prévisions originelles. Il en sera ainsi jusqu’au complet achèvement du programme.

L’Allemagne s’engage donc dans une entreprise longue et coûteuse. Et, chose remarquable, au moment même où elle s’apprête à développer sa flotte, l’Angleterre commence à mettre en doute la valeur de son armée. Pour la première fois, on se demande de l’autre côté du détroit si les armées mercenaires d’aujourd’hui, excellentes sans doute, mais peu nombreuses, suffisent à tous les besoins de la politique impériale. On parle de la conscription comme d’une réforme qui deviendra bientôt inévitable. De hautes autorités militaires agitent des problèmes devant lesquels, il y a quelques années à peine, tout bon Anglais, élevé dans les vieilles et saines traditions, aurait reculé avec quelque effroi. Les mœurs du pays, telles que l’histoire les a faites, pourraient bien effectivement être modifiées par l’histoire, telle qu’on la fait aujourd’hui. Ainsi l’Angleterre et l’Allemagne, poursuivant un but analogue, se sentent obligées de développer la partie de leur outillage de guerre qui avait été jusqu’ici subordonnée à une autre. Non pas dans la même proportion, bien entendu l’Angleterre n’aura jamais besoin d’une armée comme l’Allemagne, et l’Allemagne, n’aura jamais besoin, du moins avant un temps indéterminé, d’une flotte comme l’Angleterre. Mais toutes les deux, pour suivre la politique qu’elles ont adoptée, se voient ou se verront bientôt amenées à des modifications assez profondes dans l’équilibre de leurs forces respectives de terre et de mer. L’empereur Guillaume pousse un cri d’alarme en constatant l’insuffisance de sa flotte ; lord Wolseley en