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« ne meurt pas et le cœur qui en a besoin sait la trouver. »

Lanier était alors profondément plongé dans l’étude de la littérature anglaise, serrant de près les textes anglo-saxons. Son enthousiasme pour la pensée et les formes des vieux bardes anglais se montre dans l’introduction au recueil d’anciennes ballades qu’il a réunies pour la jeunesse et qui composent une partie relativement intéressante de son œuvre en prose, bien que ce ne soit, comme The Boy’s Froissart et The Boy s Mabinogion, qu’un travail d’éditeur. Il fit ainsi un choix intelligent de nos anciennes chroniques françaises et des légendes galloises de la Table ronde qui, en s’adressant aux enfans, avait pour but principal de répandre en Amérique les principes d’une certaine chevalerie nécessaire dans tous les temps et à tous les pays.

Au milieu de ces travaux secondaires, quelquefois bien indignes de lui, mais toujours relevés par la distinction qu’il y mettait — (nous le voyons au mois de mai 1874, visiter la Floride avec mission d’écrire ce qu’il appelle un Guide spiritualisé pour une compagnie de chemins de fer), — Lanier parle sans cesse des deux ou trois heures qui lui manquent pour jeter sur le papier les poèmes qui remplissent, jusqu’à lui faire mal, sa tête et son cœur. Durant un séjour chez son père, il écrivit cependant le fameux poème du Blé (Corn) qui attira pour la première fois sur lui l’attention générale.

Il avait été frappé de la désolation d’une certaine partie de la Géorgie, autrefois consacrée à la culture du coton, et sur ce thème apparemment vulgaire, mais qu’il jugeait assez douloureux pour pouvoir être poétique, fut brodée l’une de ses plus belles pièces. C’est d’abord un paysage forestier : nous sommes au fond des bois à travers lesquels tremblent et passent fugitives des formes brillantes, évanouies aussitôt dans la verdure, comme les étoiles de l’aube se fondent dans le bleu. Les feuilles qui lui effleurent la joue le caressent ainsi que des mains de femme, les branches enlaçantes expriment en l’embrassant une subtilité de puissante tendresse, les profondeurs du taillis exhalent des bruits semblables aux battemens d’un cœur. De tous les arbres sortent des soupirs, les longs et profonds soupirs du printemps captif qui cherche à s’échapper.

Et le poète prie avec les mousses, les fougères, les fleurs sauvages qui se dérobent aux regards humains comme des nonnes craintives, en exhalant vers le ciel un parfum d’adoration. Il