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contestation, avec des officiers d’un rang supérieur, il était sur des épines. Cette irritabilité, ce duel dont il est parlé dans les Mémoires, n’eurent sans doute pas d’autre cause.

Il avait toutefois une consolation : ses tableaux. On ne s’attend sans doute pas à trouver dans les manuscrits du château de Sartoux la confirmation de cette sorte de manie. Et cependant un passage semble y faire allusion : « Que ne fais-je sur les choses qui importent à ma réputation ce que je fais pour disposer et orner ma retraite ?… » Le consciencieux officier, en son désir de bien faire, va jusqu’à se reprocher son innocent dilettantisme.

C’est le moment de nous demander à quoi il pouvait bien penser quand il opérait, parmi les œuvres d’art francfortoises, cette rafle enragée : car nous en pouvons juger, grâce à M. Schubart, qui nous donne en son livre les photographies de plusieurs de ces peintures, probablement des meilleures. Ce sont d’honnêtes tableaux de troisième ordre, comme tous nos chefs-lieux de département en peuvent montrer bon nombre dans leur musée. Croyait-il avoir découvert sur les bords du Mein une nouvelle école flamande ? S’était-il décidé par une différence de prix ? Ou est-ce quelque lubie inexplicable ?

Je crois que nous avons ici un exemple de ce que le jargon moderne appelle l’emballement de l’amateur. Au lieu de se calmer par la satisfaction, la passion va en augmentant. Le comte de Thorenc avait le tempérament du collectionneur. Cette variété de caractère est ancienne : nous en trouvons déjà la description chez La Bruyère. Après tout, elle n’est pas vulgaire, et elle s’unissait chez lui, comme on a pu le voir, aux plus nobles qualités du cœur.


IV

La carrière militaire de Thorenc ne se ressentit pas trop de la déviation qu’elle avait subie. Après Francfort, il fut envoyé comme sous-gouverneur à Saint-Domingue. Ses relations avec la ville qu’il avait administrée se continuèrent encore quelque temps, malgré l’éloignement. M. Schubart cite des lettres qu’il recevait à Saint-Domingue, où il est parlé de ses peintres, de M. Gœthe (le père), de ses anciennes connaissances, de Diene. Puis, revenu en France, et comme il sollicitait déjà sa retraite, il fut nommé lieutenant royal à Perpignan et commandant de la