Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

province de Roussillon. Cette charge, qui dépassait ses ambitions, l’effraya beaucoup dans les commencemens. Enfin, couronnement suprême, il obtint, le 3 janvier 1770, le grade de maréchal de camp.

Ce fut pour lui le signal du retour à Grasse, dans cette demeure dont on peut bien dire qu’elle avait été ornée par ses soins. Déjà sexagénaire, il se maria avec Mlle Julie de Montgrand de la Napoule, dont il eut deux enfans ; un fils, qui fut sous la Restauration capitaine de hussards de la garde royale, et une fille qui épousa le comte de l’Escarène.

Il vit encore la Révolution. Ses pensées, qui avaient toujours été graves, prirent à la fin une teinte religieuse. Dans quelques pages d’une écriture presque illisible, et datées de février 1793, il note ses réflexions :

«… Je sens mes forces diminuer de jour en jour. Mon âme se ressent de la faiblesse du corps. Ce n’est qu’en Dieu seul que je mets mon espérance. Il est temps que mon cœur se porte à ce que la religion me prescrit. Puisque Dieu ne dédaigne pas ce reste de vie que j’ai à lui offrir, il faut que je le consacre uniquement à son service… Quelle espèce de bien me reste-t-il à faire ? Les hommes ne sont pas comme la Divinité qui se contente du cœur. Il n’importe : il n’est pas dit qu’on ne rencontrera pas des occasions de faire réellement du bien. Est-ce qu’il n’y a pas toujours des indigens ? Les secourir, n’est-ce pas se rendre heureux, même ne fît-on que donner de bons conseils, ce qui est très faisable, malgré l’indigence où on peut se trouver soi-même… Il est très inutile que je prenne à l’occasion des affaires publiques des soins inquiétans. Ces affaires-là ne peuvent tirer de moi aucun secours… Je demande à Dieu ses miséricordes pour ma patrie… »

Il mourut plein de jours le 15 août 1794, environ un mois après le 9 thermidor.

Sut-il jamais que le jeune garçon qu’il avait vu rôder autour de son atelier de Francfort, et qui lui servait d’interprète avec ses hôtes, était devenu un grand homme, un familier des princes et des grands de la terre ? On peut le supposer, car les relations intellectuelles de la France avec l’étranger étaient plus actives à cette époque qu’elles ne le furent durant l’époque suivante. En tous cas, du côté de Gœthe les souvenirs, comme on a pu en juger, sont restés d’une fidélité parfaite. A tel point qu’on se demande où est, dans le récit de ces Mémoires, intitulés Poésie et Vérité,