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de terre des monumens et des inscriptions qu’il faut interpréter. La conséquence est que, se sentant vraiment débordé, sa tendance naturelle est de restreindre le cadre de ses tableaux et, pour ne pas être accusé d’embrasser plus qu’il ne pourrait étreindre, de concentrer toute son attention sur un point unique. Ce sera telle révolution de tel pays, ou telle guerre, ou le règne de tel souverain, ou même la vie de tel personnage. Chacun se fait sa part, s’y cantonne et s’y étend à son aise.

Nous avons ainsi des monographies qui, lorsqu’elles portent sur des sujets qu’il est intéressant de connaître à fond, sont des travaux historiques de premier ordre : mais d’autres consacrent des volumes là où quelques pages, à la rigueur, pourraient suffire. On assiste ainsi en quelque sorte à une sorte de divisibilité indéfinie de la matière historique dont on ne sait pas bien quel sera l’atome. Faut-il croire cependant que c’est là la forme définitive réservée à l’histoire et que des aspirations plus élevées et des plans plus vastes lui soient désormais interdits ? Doit-elle renoncer à suivre à travers les siècles toutes les évolutions politiques ou sociales d’un peuple ou d’un État en lui assignant par là sa place dans le développement général de l’humanité ? Ce serait une abdication regrettable dans la patrie de Bossuet et de Montesquieu, et la vérité, au fond, ne gagnerait rien à n’être jamais regardée que d’un point de vue rétréci et abaissé : car les fragmens d’un miroir brisé ne réfléchissent jamais que des images dénaturées et confuses.

M. Duruy avait des visées plus hautes, et il les exprime avec une certaine fierté au début d’un de ses écrits les plus éloquens, une Introduction générale à un projet d’histoire de France qu’il n’a pas pu réaliser : « L’histoire qui raconte, dit-il, est un art. L’histoire qui explique, classe les phénomènes sous des lois, je veux dire les faits sous leur cause, est une science. J’ai cette ambition pour l’étude à laquelle j’ai consacré ma vie qu’elle peut monter à ce rang[1]. »

Cette ambition, M. Duruy Ta pleinement justifiée, en se plaçant volontairement, pour atteindre ce but, dans les conditions les plus difficiles, par ses deux histoires de la Grèce et des Romains. S’il s’était proposé de faire voir aux futures générations d’écrivains que l’activité bien employée d’un seul homme peut

  1. Introduction générale à l’Histoire de France, p. 62.