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le talent d’exposer les faits à la sagacité qui les découvre, tient à communiquer lui-même au public lettré le résultat de ses recherches et, d’autre part, on ne trouverait plus d’historien qui se croie dispensé de vérifier lui-même les fondemens sur lesquels repose la réalité des faits qu’il raconte et ne regarde cette étude directe et personnelle, faite sur les textes primitifs, comme nécessaire pour bien déterminer le caractère des événemens. Une œuvre historique dont l’auteur n’a travaillé que sur des matériaux préparés par autrui est qualifiée d’ouvrage de seconde main, et à ce titre jugée et condamnée par avance. On ne saurait assurément se plaindre de la condition, imposée à cet ordre d’écrivains comme à tout autre, de se bien rendre compte de ce qu’ils disent et de ne rien affirmer dont ils ne soient sûrs. L’effet en a été aussi heureux pour constater l’exactitude matérielle des faits que pour en donner l’intelligence. Bon nombre de légendes qui passaient, hier encore, comme monnaie courante, ont disparu de l’histoire ou ont été rétablies dans leur vrai jour, depuis qu’elles ont été soumises au crible d’une vérification nouvelle par ceux qui autrefois se seraient bornés à les enregistrer, telles qu’on les leur avait apprises. Puis, quel aspect différent ont pris aussi, regardées de près, les choses mêmes qu’on croyait connaître ! Rien ne vaut, pour faire revivre les temps passés, une heure d’entretien avec des documens originaux. Cela s’appelle remonter aux sources, par une expression qui est devenue si familière qu’on ne remarque plus même la justesse de la métaphore : car ce sont bien des sources, en effet, dont on ne goûte la saveur et la pureté, que si on y vient puiser soi-même au point où elles sortent du sol avant qu’aucun mélange les ait altérées.

Mais quel que soit le bon résultat qu’ait produit cette nécessité imposée à l’historien de faire ses recherches lui-même, sa tâche n’en est pas moins devenue par là plus laborieuse, et — ce qui n’est pas indifférent (la vie et les forces humaines étant limitées) — c’est un temps bien plus considérable qui est exigé pour l’accomplir. La charge même semble s’accroître tous les jours par l’abondance des élémens d’information qui se produisent de toutes parts et dont il ne lui est permis de négliger aucun. S’il traite de l’histoire moderne, l’ouverture des archives et des bibliothèques de tous les pays multiplie les documens inédits qu’il ne peut consulter sans des déplacemens souvent incommodes. Si c’est l’histoire ancienne qu’il aborde, des fouilles bien dirigées font à toute heure sortir