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œuvre industrielle, comme verrerie normale, a quelque chose de presque déconcertant. Elle couvre un terrain de plusieurs hectares, y bâtit des fours, des ateliers, des bureaux, installe des machines, embauche trois cents ouvriers, et veut faire fonctionner tout cela avec un capital de cinq cent mille francs. Elle exploite une grande usine avec le capital d’une boutique ! Je demande à un administrateur s’ils n’ont pas un ingénieur attaché à l’établissement, et l’administrateur me répond que non, tout en reconnaissant la nécessité d’en avoir un. Et pourquoi ne l’ont-ils pas ? C’est que l’ingénieur « augmenterait de six mille francs les frais généraux » ! Pas d’ingénieur ? Bien des fautes, dès lors, deviennent inévitables, et les fours, effectivement, sont construits sur un mauvais sol, où l’eau les envahit à certaines époques. Telle est la conduite technique de l’entreprise, et l’entente commerciale n’en est pas moins étrange. M. Rességuier, en fondant Carmaux, avait étudié le marché, observé les besoins de la clientèle. La région manquait de bouteilles, se fournissait à des verreries éloignées, et payait de gros prix, en raison des transports. M. Rességuier allume alors un premier four, puis un second, puis un troisième, puis d’autres, au fur et à mesure des demandes. Mais la Verrerie ouvrière n’a pas cette prudence. Elle achète son terrain, élève ses bâtimens, met ses fours en marche, et allume une usine de plus, à l’instant même où la situation commerciale se trouve retournée ; où non seulement les bouteilles ne manquent plus dans la contrée, mais où il y en a trop ; où Carmaux ne vend plus la moitié de ce qu’il vendait primitivement ! C’est dans ces conditions, en pleine surabondance, lorsque de vieilles verreries songent à se restreindre, que le prolétariat ouvre la sienne. Là aussi, l’homme de l’art manque, l’homme compétent et éclairé ; la prévoyance fait défaut, et le nombre même des verriers embauchés est encore une faute de plus. Il est le double de ce qu’il faudrait, et chacun, en conséquence, ne peut plus gagner que la moitié de sa vie, en jalousant le camarade qui l’empêche de gagner l’autre. Le verrier d’Albi ne travaille que la demi-journée, et cette demi-journée ne lui est même pas payée tout entière. On la lui grève d’une retenue de « vingt pour cent »[1] pour payer les dettes de la maison. La maison n’est pas à lui, mais il doit quand même en payer les dettes ! Il ne coopère pas pour le gain, mais coopère

  1. La retenue, à l’heure qu’il est, serait même de 50 pour 100.