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pour la perte. Et lui remet-on au moins régulièrement son dû ? On le lui paye avec six semaines de retard… La guerre, toujours la guerre, avec ses dures nécessités, ses misères et sa famine !


X

Le malheur de la Verrerie ouvrière, et son malheur évident, est précisément d’être ainsi une verrerie de combat, c’est-à-dire une maison de commerce où l’esprit commercial ne domine pas. Dans quel état d’esprit les grévistes de Carmaux, poussés par les syndicats ouvriers, fondent-ils la Verrerie ouvrière ? Est-ce, en réalité, pour fonder une verrerie qui en soit bien une, avec chance de bien fonctionner, de bien produire, et de bien vendre ? Pas du tout, et ces considérations, chez eux, sont toutes secondaires. Ils veulent, avant tout, détruire le « patronat », et ne pensent qu’ensuite, subsidiairement, à ouvrir une usine, en y cherchant un moyen de guerre comme un autre. Ils ne mettent pas à exécution un projet pacifique et bien mûri, mais songent surtout à faire acte d’hostilité, à se manifester comme ennemis. Ils agissent en meneurs, non en industriels, et cela où des industriels étaient surtout nécessaires, là où il fallait se trouver beaucoup plus préparé à fabriquer les bouteilles qu’à les casser. De là, le manque de capitaux : on n’a pas le temps de les attendre, et il faut marcher coûte que coûte. De là, l’absence d’ingénieur : on n’a pas de quoi en avoir un, on s’en passera. De là, l’ouverture même d’une verrerie quand les autres verreries sont déjà trop en nombre : on ne fait pas œuvre de commerce, mais de lutte. De là, aussi, l’embauchement de trois cents ouvriers, lorsqu’une centaine suffisait. Encore une inconséquence, mais exigée par la « cause ». L’important n’était pas qu’on mangeât bien, mais que tout le monde mangeât, si peu que chacun eût à manger. C’est exactement le régime des sièges. À la guerre comme à la guerre ! De là, enfin, ces statuts draconiens et tyranniques qui frustrent les verriers de tout ce qu’ils comptaient avoir, de leurs droits comme de leurs espérances, et ne leur donnent rien, là où on leur avait tout promis ! Il ne s’agit plus de liberté, de dignité, d’émancipation, d’autonomie, mais de guerre et de salut public.

On retrouve quotidiennement, dans les journaux socialistes, un avis qui indique bien encore cet esprit de lutte et de bataille, là où n’eussent pas été inutiles un peu de sens commercial et de