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ou un Luther. » Le commandant de la forteresse de Kœnigstein trouvait avec raison cette profession de foi un peu vague. Dans un âge plus avancé, Treitschke sera plus croyant, moins peut-être par le besoin de croire que par un secret désir de se faire un catéchisme qui ne différât pas trop de celui des Hohenzollern.

On ne s’entendait pas en matière de religion, on s’entendait encore moins en politique. Le général de Treitschke était un bon et loyal Saxon, un Saxon du vieux temps, de la vieille école et de la vieille roche, particulariste jusque dans les moelles. Il aimait passionnément son royaume de Saxe, son roi et la cour de son roi ; il était fier de son pays, dont la capitale a tant de charme, et il avait peine à concevoir qu’un homme sensé pût vivre ailleurs. Ce bon Saxon ne laissait pas de se croire un bon Allemand ; mais la Diète de Francfort lui semblait une admirable institution, et l’Allemagne lui paraissait très bien telle qu’elle était ; il n’y voulait rien changer, il regardait comme de mauvais esprits tous ceux qui cherchaient à la troubler ou s’efforçaient de lui persuader qu’elle était malheureuse.

Conservateur dans l’âme, il tenait le parti de l’Autriche parce que l’Autriche était intéressée au maintien du statu quo, et qu’elle représentait à ses yeux la politique de conservation. La Prusse, au contraire, lui était fort suspecte ; il l’accusait d’avoir d’immenses ambitions, d’immenses convoitises, de ne s’occuper que de son agrandissement, d’être prête à lier partie avec la révolution et les révolutionnaires pour peu qu’elle se flattât d’y trouver son profit. Il posait en principe que ce Bertrand malfaisant cherchait


Son bien premièrement, et puis le mal d’autrui,


et que tôt ou tard Raton serait son compère. Ce vieux général, qui ne manquait pas de flair, aurait voulu que son fils fût un jour professeur à l’université de Leipzig et qu’il y enseignât l’histoire saxonne, et il lui remontrait sans cesse que leur vraie patrie était la Saxe, à quoi son fils répondait qu’il n’avait pas d’autre patrie que l’Allemagne, et que, si un jour l’Allemagne avait la force et le courage de se transformer et de remplir ses destinées, ce serait sous les auspices de la Prusse que s’accomplirait ce mémorable événement ; que la Prusse était le dieu sauveur, qui pouvait seul intervenir dans cette affaire.

Dès l’âge de quatorze ans, Treitschke avait rédigé son catéchisme politique, auquel il est demeuré fidèle jusqu’à sa mort ; dès 1848, il soupirait après la restauration de l’empire allemand par l’assistance et au bénéfice de la Prusse ; dès 1848, il croyait fermement à la mission