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gouvernement ou dénoncés par les pétitions des citoyens. Il jouit même du droit d’initiative refusé aux députés. Il peut, dans un rapport adressé au Président de la République, poser les bases des projets d’un grand intérêt national. Enfin, en cas de dissolution du Corps législatif, pendant les six mois accordés pour en faire élire un nouveau, il pourvoit, par des mesures d’urgence, à ce qui est nécessaire à la marche du gouvernement.

Le Sénat ne reçut pas l’attribution judiciaire de connaître des attentats ou complots contre la sûreté de l’État. Le Prince savait « que la défaveur atteint toujours les corps politiques lorsque le sanctuaire des législateurs devient un tribunal criminel ; que l’impartialité du juge est trop souvent mise en doute, qu’il perd son prestige, que l’opinion l’accuse d’être l’instrument de la passion ou de la haine. » Suivant en cela les précédens loyaux de la Révolution, il institua une Haute Cour composée de magistrats et de jurés. Les magistrats étaient des conseillers à la Cour de cassation choisis chaque année ; les jurés, pris parmi les conseillers généraux, étaient tirés au sort pour chaque affaire, en audience publique de la Cour d’appel.

Le mode de recrutement du Sénat et du Corps législatif différait autant que leurs attributions.

Le suffrage universel était maintenu pour l’élection des députés. Déjà à cette époque, on sentait les périls auxquels le suffrage universel anarchique de 1848 exposait une société, mais on n’avait pas réfléchi aux moyens d’y remédier sans toucher à l’universalité même du suffrage, impossible à détruire. L’idée à laquelle appartient l’avenir, — celle du vote par groupes professionnels ou spéciaux, — pointait à peine ; on n’avait pas encore étudié la conception si juste du vote multiple. Lamartine l’avait indiquée, mais on ne s’y était pas arrêté[1]. On croyait alors que tout le mal était dans le scrutin de liste, et qu’en rétablissant le scrutin uninominal on assagirait le suffrage universel. C’est ce que fit la constitution. Seulement, avec beaucoup de sagesse, ce n’est pas à l’arrondissement administratif qu’elle attribua un député, ce qui aurait eu le grave inconvénient de donner à de très petites agglomérations autant de droits qu’aux plus nombreuses et de créer

  1. Conseiller du peuple, 6e série, p. 267 : « Un jour viendra, je n’en doute pas, où le père de famille aura autant de voix dans le suffrage qu’il y a de vieillards, de femmes et d’enfans à son foyer ; car, dans une société bien faite, ce n’est pas l’individu, c’est la famille qui est l’unité permanente. »