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fois encore, des municipalités ou des gouvernemens chez qui elle manifeste l’intention de s’établir. La terreur des armées françaises est alors à son comble dans l’Allemagne entière ; si le séjour de quelques obscurs émigrés est redouté comme le présage de calamités redoutables, on devine quel accueil attend une princesse du sang des Bourbons, la propre fille de ce Condé qui, depuis des années, mène une lutte acharnée contre la République. « Il faut bien, s’écrie-t-elle un jour, avoir les pieds posés quelque part sur cette terre que nous habitons ; et c’est là ce qui m’est refusé ! » Elle n’est pas à Augsbourg depuis une semaine, qu’un arrêté municipal lui enjoint d’en sortir dans les quarante-huit heures. Elle se rend à Passau : « un monsieur fort poli » vient lui signifier aussitôt d’en déguerpir au plus vite. Elle s’adresse à l’Empereur d’Allemagne pour demander asile à Vienne : la réponse qu’elle reçoit, après bien des retards, l’admet à titre de « passante », et pour quelques jours seulement. Il faut de longs pourparlers, l’engagement solennel d’y vivre incognito, sans aucune relation politique ou mondaine, pour obtenir enfin le droit d’y séjourner, à la Visitation. Elle doit pousser jusqu’en Russie pour rencontrer un bon accueil. L’empereur Paul n’a pas oublié celle dont l’éclat et la beauté illuminèrent jadis pour lui les fêtes de Chantilly. Une lettre fort gracieuse promet à la princesse appui et protection, propose, dans la ville d’Orcha, en Russie, une maison confortable pour elle et les compagnes qu’il lui plaira d’amener, annonce, pour faciliter le voyage, l’envoi d’un « jeune officier » qui servira de guide, ajoute même à toutes ces attentions le bienfait d’une pension pour aider sa misère.

Malgré tant d’avantages, le séjour à Orcha fut de courte durée. Ce qu’elle est venue chercher si loin n’est pas, — ainsi qu’elle dit, — la tranquillité égoïste d’une commode retraite. Ses aspirations vers le cloître sont toujours aussi vives ; les vaines tentatives de ces dernières années n’ont point usé sa patience. « Je crois, écrit-elle au prince de Condé, que l’on n’a jamais vu avoir autant de mal et être forcée à faire autant de chemin pour parvenir à se faire religieuse ! Une contre-révolution, je vous assure, ne donne pas plus de peine... Mais les difficultés ne me rebutent pas plus que vous. » Un couvent de bénédictines à Nieswitz, en Lithuanie, la reçut d’abord quelque temps ; mais elle découvrit vite qu’elle n’avait « nul motif de s’y plaire », moins encore d’y contracter « un engagement quelconque ». L’assassinat