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de Paul Ier[1], son protecteur et son ami, acheva de la déterminer à quitter un pays où se passaient impunément de tels forfaits : « Nous sommes payés, s’écrie-t-elle, pour avoir horreur des scélérats ! » La Pologne l’attire : elle trouvera à Varsovie le chef de la maison de France, Louis XVIII, entouré de sa famille ; elle entend dire grand bien d’un des monastères de la ville, les bénédictines du Saint-Sacrement ; c’est là qu’elle se décide à tenter une suprême expérience. Elle n’est plus seule, cette fois, pour entreprendre le voyage ; elle emmène deux compagnes, qui ne la quitteront pas pendant de longues années. L’une est une enfant en bas âge, une petite fille de quatre ans, Eléonore Dombkoska, abandonnée par sa famille, déposée un matin à sa porte, à demi morte de froid et de faim. La princesse la recueille, s’informe de sa naissance, apprend que ses parens, « de famille noble tous deux », sont dans une telle misère qu’ils ne peuvent conserver le fardeau d’un enfant. Elle n’hésite pas à l’adopter, s’y attache en peu de temps comme à une fille véritable ; et la petite Eléonore partagera désormais, quelles qu’en soient les vicissitudes, la fortune de sa bienfaitrice[2]. L’origine de l’autre amitié n’est guère moins romanesque : dans le silence prescrit par la règle monastique, deux novices ont, des mois entiers, vécu côte à côte, sans se connaître ni se deviner, bien qu’instinctivement attirées par une sympathie réciproque. La plus jeune, « la sœur Sainte-Rose », se demande avec curiosité qui peut être cette fervente religieuse, qu’à sa simplicité de vêtemens et d’allures elle a prise tout d’abord pour « une pauvre fermière suisse », et que le père abbé semble traiter pourtant avec une spéciale déférence. Un jour de conversation permise, elles s’approchent l’une de l’autre, s’interrogent et s’expliquent : elles sont toutes deux Françaises ; elles ont eu jadis, dans le monde, des relations communes ; sur la plupart des points, leurs goûts, leurs sentimens, leurs idées sont les mêmes. L’une est Mme de Rosière, l’autre la princesse de Condé. Elles s’unissent dès lors d’une étroite affection ; dans l’isolement qui les accable, elles éprouvent une douceur à rapprocher leurs deux vies ; elles s’engagent bientôt de part et d’autre dans une communauté fraternelle, qu’aucun choc ne détruira jamais, que la mort seule pourra dissoudre.

  1. 23 mars 1801.
  2. Eléonore Dombkoska épousa, en 1822, le comte de Gouvelle, et plus tard, en secondes noces, le marquis de Saint-Chamant.