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Peut-être est-ce au réconfort de cette double affection qu’il convient d’attribuer la tranquillité d’âme dont jouit la princesse Louise pendant les premières années de son séjour à Varsovie. Elle semble avoir enfin conquis, dans un couvent selon ses vœux, — non le bonheur complet, auquel elle a cessé de croire, — mais la sérénité, la paix intérieure, ces biens inestimables dont elle a depuis longtemps perdu jusqu’au souvenir. Sans se rattacher au monde, elle reprend intérêt à ce qui se passe au dehors, s’informe curieusement des nouvelles politiques, que lui apportent seules, dans ces régions reculées, « quelques vieilles gazettes radoteuses », jointes à « des rabâchages de couvent, moitié français, moitié popolsk. » Elle reçoit à d’assez rares intervalles la visite de la famille royale, dont elle trace en confidence à son père un portrait peu flatté : « La reine[1] a été fort honnête pour moi ; mais, entre nous, quel changement ! Non qu’elle eût rien à perdre quant à la figure, mais plus petite, plus mal tournée que jamais, mais des cheveux tout blancs, mais soixante-dix ans, mais se traînant plutôt que marchant, beaucoup moins parlante qu’à Versailles, l’air abasourdi, en un mot unique ! » Le duc de Berri, qu’elle voit un peu plus tard, n’est guère mieux partagé : « Il a acquis une figure et une tournure de savoyard, que je ne lui avais jamais vues ! » Pour Louis XVIII, elle lui reproche surtout les menées souterraines, les mesquines intrigues où il paraît se plaire, la parodie à laquelle il se prête d’une royauté fictive, où le vain prestige du décor extérieur tient lieu de la réalité : « On dit, écrit-elle un jour, qu’il est question de lui donner une petite possession en Russie, de lui laisser porter ce titre, et de lui former une apparence de courette (le mot est de mon invention). Je trouve que tout cela a dû jadis rendre M. Stanislas Leczinski fort heureux. Mais pour Louis de Bourbon, roi de France, je pense tout autrement ! Tout ou rien. Et rien, vu les choses et les causes, est à mes yeux ce qu’il y a de plus honorable. » Aussi conseille-t-elle vivement à son père de se tenir à l’écart, et d’attendre les événemens, sans grossir de sa présence la réunion de Varsovie : « Un rassemblement de princes réussit rarement, dit-elle avec philosophie ; ils ne sont jamais plus unis que lorsqu’ils vivent chacun de leur côté. »

Ces sages exhortations étaient, à cette époque, assurément

  1. Marie-Joséphine-Louise de Savoie, femme de Louis XVIII.