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XII

Cette dernière épreuve lui fut épargnée : « Mme Louise de Bourbon-Condé, lit-on dans une gazette du temps, est arrivée récemment à Paris. Son retour en France n’a eu aucun éclat, grâce au soin que cette pieuse princesse prend de se cacher à tous les regards. » En attendant d’organiser sa vie, elle descendit chez sa belle-sœur, la duchesse de Bourbon, qui mit à sa disposition un pavillon de son hôtel[1], situé rue de Babylone. Trente-cinq ans révolus de séparation conjugale n’avaient point en effet rompu toutes relations entre la duchesse de Bourbon et la famille de son mari. Les deux époux eux-mêmes n’avaient jamais cessé de correspondre, à quelques rares intervalles ; et les lettres où la duchesse, s’adressant à celui dont elle porte le nom, tantôt le traite de « monstre » et le moment d’après « l’embrasse de toute son âme », subsistent comme un curieux exemple des rapports, « mitoyens entre l’entente et la brouille », de ce surprenant ménage. Mlle de Condé, pour sa part, n’abandonna jamais cette malheureuse princesse qui, avec « de la grâce, de l’esprit, des talens, une belle âme[2], » gâta ces dons précieux par une humeur bizarre, dont elle fut la première à souffrir. Elle avait tenté vainement, lors de la mort du duc d’Enghien, de rapprocher l’une de l’autre deux vies, brisées par un même deuil. Au moins réussit-elle à empêcher dix ans plus tard l’éclat d’un nouveau scandale, le divorce des époux, prononcé par la loi, sanctionné à Rome par une annulation, préface d’un remariage qui permît au prince de « perpétuer la race des Condé ». Un parti influent poussait le duc de Bourbon à cette démarche irréparable, et, lors de la rentrée en France, on put croire un moment qu’elle était près de se réaliser. La princesse Louise, encore en Angleterre, en fut instruite à temps, et conjura son frère, dans les termes les plus pressans, de renoncer à ce projet : « Perpétuer la race des Condé ! Je n’ai pas besoin de vous dire ce que je sens, ce que je pense, ce que je regrette et pleure avec des larmes de sang. Mais pourquoi la souiller par un tel acte en vue de la perpétuer ?... Ce serait manquer essentiellement

  1. L’hôtel de la duchesse de Bourbon occupe aujourd’hui le n° 57 de la rue de Varennes, et appartient à l’ambassade d’Autriche. Il s’étendait jusqu’à la rue de Babylone, sur laquelle donnait le pavillon habité par Mlle de Condé.
  2. Mme de Genlis, Mémoires.