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à la mémoire de celui que nous pleurons, que d’en agir ainsi avec sa mère, avec celle qui l’a porté dans son sein[1]. » Le duc de Bourbon, encore hésitant, obéit à cette voix aimée. Toute idée de divorce fut dès lors abandonnée ; et la duchesse, touchée de cette intervention décisive, en conçut pour sa belle-sœur une gratitude profonde.

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner de l’empressement qu’elle témoigna à recueillir la princesse Louise, et à lui préparer « un petit hermitage », paisible et conforme à ses goûts. Dans ce pavillon, isolé au fond du vaste jardin, Mlle de Condé, sans autre compagnie habituelle que celle de sa fille adoptive et de Mme de Rosière, put se créer, en plein Paris, une sorte de « thébaïde ». Les visites de ses proches ou de quelques intimes animaient seules sa vie retirée ; la prière et la méditation partageaient la plupart de ses heures ; et parfois, errant dans le parc, elle pouvait, en levant la tête, voir à quelques pas d’elle cet hôtel de la rue Monsieur, où elle avait vécu les belles années de sa jeunesse, où son sein avait palpité, où ses espérances étaient mortes.

Mais sans doute fuyait-elle ces rêves, et se reprochait-elle ces souvenirs. Il fallut bien les évoquer pourtant, le jour où, dans la première quinzaine de mars 1815, lui fut remise une lettre, dont, — après trente ans, — elle reconnut sur-le-champ l’écriture. C’était le compagnon des temps heureux, l’ami de Bourbon-l’Archambault, dont l’instinct prophétique pressentait un danger imminent, et qui venait mettre en garde celle que ses yeux n’avaient jamais cessé de suivre, ni son cœur de chérir. « Bonaparte, y lisait-on en substance, sera probablement dans huit jours à Paris ; le roi, longtemps bercé d’illusions, partira subitement ; en passant près de Chantilly, il ne saurait manquer d’y prendre le prince de Condé ; et la princesse Louise, trop tard avertie, risquera de ne pouvoir les accompagner dans leur fuite. Prévenue de ce qui l’attend, qu’elle se hâte donc de prendre ses mesures[2]. » En dépit du temps écoulé, des scrupules de conscience s’éveillèrent-ils dans l’âme de la Nina vieillie, lasse et revenue de tout ? La lettre ne fut-elle pas décachetée ? Le péril signalé fut-il jugé chimérique ? Le seul point hors de doute est que la princesse n’y fit nulle réponse et n’en tint aucun compte. Une semaine plus tard, les événemens annonces

  1. Lettre du 4 juin 1814.
  2. Note du marquis de la Gervaisais.