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l’art, le point de vue généalogique ; et on voit, par la définition même que j’en donne, combien le nombre est petit des historiens qui s’y sont placés. On voit aussi quel en est le rapport avec la doctrine de l’évolution.

Mais, dit-on, — et c’est même le grand argument qu’on invoque, — si nous nous plaçons à ce point de vue, c’est-à-dire si nous admettons que l’évolution des genres soit soumise à des lois de la même nature que l’évolution des espèces animales, que devient la liberté, que devient l’individu, que devient l’originalité, que deviennent enfin les différences qui distinguent l’homme de l’animal, et, par exemple, ses œuvres de celles des abeilles ou des fourmis ? Ce qu’elles deviennent, je l’ai déjà dit, non pas une fois, mais dix fois. Le grand avantage de la doctrine évolutive, c’est précisément que tout ce que l’on croit qu’elle compromet ou qu’elle menace, au contraire elle le sauve. Encore une fois, je ne pense pas qu’il y ait tant « d’esprits originaux » ; et le génie même, si toutefois nous savons ce que nous appelons de ce nom, n’est peut-être souvent qu’une participation plus étendue, plus effective surtout, à ce qui constitue le trésor commun de l’humanité. J’avais autrefois sur ce point des idées plus « aristocratiques ». Sans en avoir aujourd’hui de contraires, j’en ai qui me semblent plus justes. Mais je dis encore que, si le génie se définissait par ce qu’il a d’unique et, dans le vrai sens du mot, d’incomparable ou d’incommensurable, c’est encore la doctrine de l’évolution qui lui garantirait, seule dans l’histoire de l’art et de la littérature, la part d’influence à laquelle il a droit. Comment cela ? C’est ce que l’on va voir si l’on me permet de résumer ici le chapitre le plus important, à mon sens, de l’histoire ou de l’évolution de la doctrine évolutive ; — et c’est le chapitre du darwinisme.

Il y avait longtemps, quand le livre fameux de Darwin a paru, que l’on disputait entre naturalistes sur la question de la « variabilité » ou de la « fixité » des espèces. Les argumens des partisans de la fixité sont connus et je n’ai pas à les discuter. Quant aux partisans de la variabilité, leur opinion s’autorisait de l’influence du « milieu », de celle de « l’instinct », de la tendance intérieure de l’être au perfectionnement de soi-même, de la nature du désir et de la puissance qu’ils lui attribuaient de pouvoir créer son organe. C’est le fond même du lamarckisme, et pour ne rien dissimuler, je suis obligé d’avouer que nous ne manquons pas aujourd’hui de néo-lamarckistes qui ne repoussent point, à la vérité, l’intervention