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était de Comte. C’est un de ces hommes qui montent en ballon avec une chandelle allumée, et qui s’imaginent ensuite qu’ils ont vu les étoiles de près. »

Le compliment qu’il fit à Robert Browning, lors de leur première rencontre, vaut aussi la peine d’être rapporté. S’ingéniant à lui dire quelque chose d’agréable : « Ah ! lui dit-il, quel étonnant ouvrage que votre poème l’Anneau et le Livre ! Je ne crois pas qu’on ait jamais écrit rien de plus étonnant. Je l’ai lu et relu d’un bout à l’autre. Comment diable avez-vous trouvé le moyen d’écrire tout un énorme poème sur un fait-divers qui aurait pu se raconter en dix lignes, et qui ne méritait que d’être oublié ? »

Mais tout cela n’est rien auprès de la réponse du vieil excentrique à un de ses amis, le peintre-poète William Bell Scott, qui lui avait envoyé un exemplaire de son recueil, les Poèmes d’un Peintre. Au lieu de lire sur le titre du recueil Poems by a Painter, Carlyle y lut, ou fit semblant d’y lire : Poems by a Printer (les poèmes d’un imprimeur). Et le voilà qui conseille à cet « imprimeur » de s’occuper désormais de ses caractères, et de laisser les Muses en paix. Bell Scott se fâche, et Carlyle lui écrit, en manière d’excuse : « Il est trop certain que j’ai commis une méprise absurde, qui, depuis deux semaines que je m’en suis aperçu, me cause une émotion mêlée d’étonnement, de remords, et d’une tendance à pleurer et à rire tout ensemble. Ayant lu sur la couverture du volume Printer au lieu de Painter, j’ai cru avoir affaire à un petit apprenti imprimeur de votre ville, qui employait ses dons supplémentaires, d’ailleurs très remarquables, à l’industrie de la poésie. C’est ainsi que je me suis permis de lui écrire comme j’ai fait, pour lui donner en hâte un avertissement amical. »


J’extrais ces anecdotes, un peu au hasard, d’un gros volume que vient de publier à Londres un érudit anglais, M. G. Birkbeck Hill, sous le titre de Lettres de Dante Gabriel Rossetti à William Allingham. Le volume est gros, mais il est tout rempli d’anecdotes, la plupart inédites, et si variées, si amusantes, si typiques presque toujours, qu’on n’a pas un instant d’ennui à les lire. Voici encore, par exemple, comment l’oncle de Robert Browning, « un vieux gentleman de belle mine, aimable et bien mis », appréciait l’œuvre poétique de son célèbre neveu : « J’aime beaucoup Robert, disait-il, mais je ne sais pas si je goûte la poésie comme on doit la goûter. Je ne puis pas me vanter, en tout cas, de comprendre quoi que ce soit aux vers de mon neveu. Ce que je lui dis toujours, c’est que toute poésie d’un caractère difficile