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nord force moutons et chèvres. Le cheval est commun jusqu’à la grande forêt ; les races indigènes sont médiocres, à part celle du Mossi, fine, résistante, certainement croisée d’arabe. A l’ouest, nos dépôts d’étalons ont surpassé notre attente ; il ne s’agit que du cheval de selle, car sur les sentes du Soudan la bicyclette a précédé la voiture. Le bœuf à bosse, l’âne, et, tout au nord, le chameau, sont les seuls animaux porteurs. Puissions-nous y ajouter l’éléphant ! Le porc est presque inconnu dans ces pays islamisés ; la volaille très nombreuse se nourrit et reproduit au hasard, on ne mange pas « d’œufs frais du jour ». Près des cases, beaucoup de ruches ; les Soudanais n’ont que le miel pour sucre. Signalons enfin, d’après M. Binger, un ver dont les indigènes du Gourounsi savent tisser le fil.

Quelles sont les ressources du Soudan en hommes ? Nous nous garderons d’énumérer toutes les tribus. Il nous importe peu ici de savoir les innombrables subdivisions de la race mandé avec leurs tatouages propres. Ni l’anthropologie, ni le pittoresque ne nous intéressent pour le moment, mais les aptitudes des habitans, ce qu’ils font et pourront faire.

En dehors des Peuhls (ou Foulbé), venus par infiltration d’est en ouest, une même race peuple le Soudan. Mandé, Bambara, Sonneraye, Bariba, Krou, le nom importe aussi peu que la division en Percherons et Normands, Périgourdins et Gascons, à un observateur africain : il verrait bien des différences entre nos « tribus » ; mais connaîtrait d’abord, je l’espère, le Blanc, puis le Français. Ne nous attachons donc plus à ces distinctions que la paix et les rapports commerciaux atténueront peu à peu. Ne voyons-nous pas déjà des croisemens entre Noirs et Berbères chez les Maures, entre Mandés et Peuhls chez les Toucouleurs ? Les voyageurs ne signalent-ils pas, en chaque tribu, des hommes d’un type à part ? et certaines tribus n’indiquent-elles pas déjà une ressemblance sociale plutôt qu’une communauté d’origine ? Croire la race soudanaise immuable est un préjugé aristocratique de blanc. Ils retardent de quelques siècles sur nous, comme les Gaulois retardaient sur les Romains, les Grecs ou les Phéniciens. Qui croit à l’éternelle infériorité des noirs, je le prie de songer aux réflexions qu’un Egyptien, contemporain de Ramsès II, pouvait faire sur les troglodytes armés de cailloux qui troquaient avec lui sur les côtes de la future Grèce ; il ne s’attendait guère à en voir sortir Démosthène, Aristote, le fondateur d’Alexandrie,