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croyaient encore au temps des nobles sentimens et des dévoue-mens chevaleresques ! Ils ne voulaient voir, dans le déchaînement des passions révolutionnaires, qu’un coup de folie passager et jugeaient sincères tous les mea culpa dont les hypocrites se frappaient la poitrine.

Le contraste devient attristant, si l’on rapproche cette indulgence d’autres faits d’une nature tout opposée. Vers cette époque, une pauvre femme, la veuve de Pontavice, l’aide de camp du marquis de la Rouerie, suppliait le ministre de lui accorder un secours : son père, capitaine-commandant de la Bastille, est mort en défendant la forteresse contre l’émeute, le 14 Juillet 1789 ; son mari a payé de sa tête son dévouement à la cause royale ; elle est demeurée pendant vingt ans sans ressources ; elle rappelle que le Comte d’Artois a promis, jadis, à Coblentz, de récompenser les services rendus par Pontavice ; ayant, par prudence, brûlé tous ses papiers, elle ne peut représenter le brevet de colonel dont le marquis de la Rouerie avait gratifié son mari au nom des Princes ; elle supplie Son Altesse de vouloir bien faire appel à ses souvenirs… Et un chef de division lui répond « que le gouvernement n’a pas à sa disposition des fonds sur lesquels on puisse imputer des pensions de la nature de celle qu’elle réclame » !

Un peu plus tard, une demande de renseignemens adressée par un particulier habitant Landrecies parvient au ministère de la guerre : il s’agit de savoir ce qu’est devenu un officier du nom de Fontevieux et la date de son décès. Après enquête — après enquête ! — le ministre répondit que ce Fontevieux, — postérieurement à la guerre d’Amérique, servait dans le régiment de Gévaudan, qu’il a émigré en 1791… Depuis lors, on ignore ce qu’il est devenu !

Ainsi les Princes, si prodigues de promesses au temps de l’émigration, en étaient arrivés à oublier jusqu’au nom de ceux qui étaient morts pour leur cause. L’avaient-ils jamais su, seulement ? Et Chévetel restait maire ! Aux grands jours il ceignait l’écharpe blanche et arborait à sa fenêtre le drapeau fleurdelisé. Sa femme était morte le 23 février 1818 et, dans son acte de décès, signé du curé et des autorités d’Orly, l’ancienne actrice est désignée sous le titre de : Pensionnaire de Sa Majesté. Car Chévetel est devenu un personnage : il n’administre pas sa commune, il y règne ; c’est lui qui consigne sur les registres les délibérations du conseil qu’il préside ; cette même main qui, jadis,