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mais spirituelle, hardie, célèbre par ses aventures. Elle était fort aimée par le marquis d’Agoult, capitaine des gardes du prince, et lui avait donné, dit-on, une promesse de mariage. Elle n’entreprit pas moins d’attacher Condé à son char, y réussit sans peine, et, fière de ce succès, afficha hautement sa conquête. D’Agoult, irrité et jaloux, montre partout l’écrit signé de l’infidèle, se répand sur son compte en propos malveillans ; et le prince, pour venger la dame, exige en termes durs la démission de l’officier des gardes. Le lendemain, 20 décembre, Condé se rendait à Versailles ; comme il touchait au pont de Sèvres, d’Agoult, qui l’attendait, apparaît brusquement, monte à la portière du carrosse, et, sans souci de la distance des rangs, demande insolemment raison du congé qu’il a reçu. A peine le prince laisse-t-il s’achever la phrase : « Soit, lui dit-il froidement, demain, au Champ de Mars, à huit heures, à l’épée ; » puis il relève la glace, et poursuit tranquillement sa route. Le combat eut lieu à l’heure, dite ; il fut vif et dangereux. D’Agoult, rapporte Grimm, « se battait en homme furieux ; » il fut atteint, au premier engagement, d’une légère blessure à la cuisse ; le duel n’en continua pas moins, et Condé, peu d’instans après, reçut un coup d’épée qui lui traversa le bras et fit tomber son arme. Les témoins arrêtèrent la lutte, le prince se fit panser en hâte, et courut à Versailles implorer la clémence du Roi pour son imprudent adversaire. Cette faveur lui fut accordée. D’Agoult, qui, au premier moment, avait fui à Bruxelles, revint bientôt à Paris, et reprit sans encombre son service à la Cour.

Obtenir le pardon du Roi n’était pas le plus difficile ; Mme de Monaco se montra moins commode à fléchir. L’éclat qu’avait eu l’aventure, la vivacité du caprice de Condé, la durée insolite de cette nouvelle « passade, » portèrent jusqu’à l’excès sa peine et son irritation. Les scènes qui s’ensuivirent furent longues et violentes ; on put croire un moment à une rupture complète ; et quand le repentir du prince eut enfin apaisé tout cet emportement, l’accord ne se fit pas sans conditions sévères[1] : l’exclusion absolue de Mme de Courtebonne des réceptions de Chantilly, l’obligation imposée à la duchesse de Bourbon de renvoyer sa dame d’honneur. À ce prix seulement l’amant infidèle put espérer sa grâce.

  1. Correspondance de Mme de Bombelles (Archives de Seine-et-Oise). Je dois l’indication de ces lettres à l’obligeance de M. le comte Fleury.