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VIII

Ces orages ne sont pas les seuls qui agitent l’âme de la princesse et troublent son repos. Elle souffre, — ainsi qu’il est dans l’ordre, — des suites inévitables d’une situation fausse. La grande place qu’elle a prise dans la vie de Condé, la puissante influence, en dépit des fugues passagères, qu’elle exerce sur son esprit, éveillent dans l’entourage du prince des ombrages, des craintes légitimes. Le duc de Bourbon, la princesse Louise de Condé, subissent avec dégoût le contact journalier de la maîtresse déclarée de leur père. Le respect et la crainte peuvent leur fermer la bouche, mais leur mépris pour la Madame, — comme ils la nomment entre eux, — éclate ouvertement dans toute leur attitude, l’hostilité de leurs regards, la glace de leur accueil, le silence écrasant qui s’établit à son approche. Moins réservée, plus agressive est la belle-fille du prince, la jeune duchesse de Bourbon[1], cette bizarre, étourdie et audacieuse princesse, spirituelle sans tact ni mesure, dangereuse sans méchanceté, ne connaissant de loi que celle de son caprice, et n’arrivant, en fin de compte, avec ce beau système, qu’à faire son propre malheur et le malheur des autres. Ne s’avise-t-elle pas, certain soir, de faire jouer à Chantilly un « proverbe » de sa façon ? Les acteurs principaux sont le prince de Condé, Mme de Monaco et le duc de Bourbon. Tout entiers à leurs rôles, ils n’y voient pas malice ; mais la représentation jette parmi le public un singulier malaise. Le sujet est l’histoire d’un homme léger et faible, dominé, sans y prendre garde, par une femme ambitieuse, intrigante et jalouse ; dans chaque scène, dans chaque phrase, chaque détail de la pièce, se trouve une allusion, une raillerie transparente, une mordante parodie. Les interprètes du drame, — mis en éveil par l’embarras, les chuchotemens des spectateurs, — s’aperçoivent un peu tard qu’ils se sont joués eux-mêmes ; et l’on juge du tapage qui suit cette découverte ! Une orageuse explication met toute la famille aux prises ; peu s’en faut qu’elle ne brouille le père avec le fils, l’époux avec sa femme. Et quand, l’année suivante, une séparation trop prévue disloque à tout jamais le ménage du duc de Bourbon, c’est à Mme de Monaco que l’opinion publique s’en prend de cette rupture ; c’est elle que,

  1. Née princesse Bathilde d’Orléans.