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pas trouvé un défenseur. Il a rappelé le vieil adage : suaviter in modo, fortiter in re ; mais la diplomatie d’autrefois s’entendait mieux à l’appliquer que celle de maintenant. Quelles que fussent les passions qui fermentaient dans une nation et qui agitaient son gouvernement, les diplomates restaient imperturbablement corrects et polis. Ils savaient que, de leur part, le moindre geste trop vif, le moindre éclat de voix pouvaient déchaîner des tempêtes, et ils s’en abstenaient avec soin. Nous persistons à croire que cette antique école avait du bon, et qu’on y reviendra. Les Américains eux-mêmes, au risque de perdre quelque chose de leur originalité, modifieront leur manière. Lorsqu’ils restaient chez eux, ils pouvaient tout se permettre ; mais depuis qu’ils se sont engagés dans une politique internationale dont les développemens doivent les mettre en rapports quotidiens avec toutes les puissances de l’Europe, ils comprendront la nécessité d’une réforme ; et elle se fera en eux tout naturellement.

Mais en voilà assez sur la forme insolite d’un discours : c’est le fond surtout qui nous intéresse, et sur le fond il n’y a aucune différence appréciable entre le langage de sir Edmund et celui que tiennent, depuis quelques mois, ses compatriotes les plus en vue. Les reproches qu’on nous adresse, qu’ils soient exprimés sur les bords de la Seine ou sur ceux de la Tamise, sont exactement les mêmes, c’est-à-dire également injustes. De quoi nous accuse-t-on, en effet, et que signifie ce grief sans cesse renouvelé de pratiquer à l’égard de nos voisins une politique de piqûres d’épingle ? Les mots ont un tel pouvoir par eux-mêmes, qu’à force d’être répétés ils finissent par s’emparer des esprits, et nous sommes d’autant moins surpris que les Anglais croient à nos torts envers eux, qu’en France même, l’opinion, dans sa loyauté un peu crédule, se demande si effectivement nous ne nous en serions pas rendus coupables. Beaucoup s’en vont répétant qu’il faut désormais abandonner la politique des coups d’épingle. Si nous l’avons suivie, certes, il n’est que temps d’y renoncer ; mais nous voudrions bien savoir où, quand, comment, nous l’avons fait ? Nous avons eu, depuis quelques années, à régler avec l’Angleterre un nombre assez considérable de questions, dont quelques-unes étaient compliquées et délicates. Il y en a eu notamment en Asie et en Afrique, au Siam, à Madagascar, à Zanzibar, en Tunisie, sur le Niger. Partout, nous sommes arrivés à des arrangemens dont les deux pays, le lendemain du jour où ils ont été conclus, se sont tout d’abord déclarés contens. Sir Edmund Monson lui-même, dans son discours à la Chambre de commerce, a parlé de la longue négociation, — elle a duré huit mois, — qui a ré-