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dans le secret. Le miracle fut que Luynes ne sut rien ou, plutôt, qu’averti, à diverses reprises, il ne voulut rien entendre. Il était si fin qu’il ne croyait même plus la vérité.

Le duc d’Epernon partit de Metz, le lundi 22 janvier, précédé de huit jours par l’archevêque de Toulouse et laissant la garde de la ville à son plus cher fils, le marquis de la Valette. Il marcha à grandes journées, autant que la pesanteur de ses mulets le pouvait permettre. Malgré la saison, le temps fut si beau qu’on allait sans manteau. Il passa sous Dijon, qui refusa d’ouvrir ses portes, et il ne se sentit sauf que quand il eut franchi la rivière de Loire, au pont de Vichy. C’est de là qu’il écrivit au Roi pour lui annoncer la nouvelle de son acheminement en Saintonge et en Angoumois, « où il n’avait dessein, disait-il, que de vivre sous son obéissance. »

Cette nouvelle fut un coup de foudre pour Luynes, qui n’avait reçu qu’un avis assez obscur de Dijon. Il comprit qu’il se tramait quelque chose de grave. Mais il n’eut pas encore la pensée qu’il s’agissait de la Reine-Mère.

Celle-ci attendait, avec une anxiété facile à concevoir, des nouvelles de l’exécution d’un projet sur lequel elle n’avait que de très vagues indications. L’agent de Ruccellaï qui devait l’avertir du départ du duc d’Epernon, au lieu de se rendre à Blois, avait gagné Paris, dans le dessein de trahir. Mais, par le plus grand des hasards, un membre du Parlement, ami de la Reine-Mère, avait eu vent de son secret et de ses intentions, et, sans savoir au juste de quoi il s’agissait, avait eu la présence d’esprit de détourner le coup. Cependant Marie de Médicis ne recevait aucun avertissement. Elle se morfondait dans l’attente.

D’autre part, l’archevêque de Toulouse et le duc d’Epernon lui-même, parvenus à Confolens en Angoumois, vingt jours après son départ de Metz, s’étonnaient de ne recevoir aucune nouvelle de la Reine-Mère. Ils se décidèrent cependant à quitter Confolens et à descendre vers Blois, en envoyant un homme d’entreprise qui était leur confident, Du Plessis, et, plus en avant encore, en pointe, un valet de chambre, nommé Cadillac, qui, depuis le début, était aussi dans le secret. Du Plessis s’arrêta à Loches, où il devait être bientôt suivi par l’archevêque de Toulouse. Cadillac alla jusqu’à Blois. Ce fut cet homme qui fut chargé, au moment critique, de serrer le nœud de toute l’affaire.

Arrivé à Blois, il demanda à parler à la Reine. Reçu aussitôt, il eut avec elle un long entretien dans son cabinet. Il raconta tout