Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coalition le roi très chrétien, et la nation, mère des croisades, était pour Soliman assurer la possession de ses conquêtes, et préparer l’extension de son empire.

L’entente fut conclue en 1535. La lutte perpétuée entre les maisons d’Autriche et de France, perpétua pour nos princes la nécessité de l’alliance avec le Turc. Au traité de Soliman sept autres succédèrent jusqu’en 1740, pour préciser, étendre sur certains points, amoindrir sur quelques autres, et confirmer dans l’ensemble la situation établie par le premier. Tous furent appelés par l’orgueil musulman « capitulations, » comme ces clauses accordées aux vaincus par la grâce des vainqueurs, mais, dans ces clauses, c’est l’Islam qui capitulait. Certaines abdications de la souveraineté islamique, des îlots de civilisation chrétienne élevés au milieu de la mer musulmane et que ses fureurs et sa stérilité ne submergeraient plus, voilà le caractère, l’originalité, la victoire de ces traités obtenus par les Valois et les Bourbons.

Les promesses faites à la France par les capitulations se résument en trois privilèges. Amitié et alliance sont accordées par le Sultan à « son frère, » « des plus grands princes chrétiens le majeur. » Le gage de la primauté reconnue à la France est le titre de Padischah qui égale nos souverains au souverain de l’Islam. La préséance est accordée à nos ambassadeurs sur tous les autres. Les Français en Turquie sont gouvernés, au nom de leur roi, par ses consuls. Les consuls jugent toutes affaires criminelles ou civiles entre Français, et l’autorité du Grand Seigneur n’intervient que pour prêter main-forte à leurs sentences : ainsi se taisent le Coran et sa partialité contre les infidèles. Un Turc ne peut intenter de procès à un Français, si la preuve du droit qu’il prétend ne se trouve dans un écrit signé de ce Français ou du consul : ainsi est porté remède à la vénalité des témoins musulmans. Même prévenu d’un délit ou d’un crime contre un Turc ou contre l’État ottoman, le Français ne peut être contraint d’ouvrir sa demeure, ni arrêté, hors la présence de son consul, et sa cause, soustraite aux magistrats ordinaires, est réservée à « l’Excelse Porte seulement. » Il n’est si mince particulier en qui le Grand Seigneur ne doive ménager la France tout entière. Voilà le privilège politique.

Les Français acquièrent le droit de trafiquer dans tous les États du Sultan. Ce droit est un monopole. Les étrangers ne peuvent faire de négoce avec la Turquie, sinon « sous la bannière de France. » Voilà le privilège commercial.