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sorte de personnage comme les autres, et l’on peut être sûr qu’il s’intéressera davantage à la comédie dans laquelle on lui fait jouer un rôle.

Plante ira plus loin, s’il le faut ; il est résigné à satisfaire tous les caprices du public, même les moins raisonnables. S’il craint que la pièce ne lui semble trop longue, il s’empressera de l’abréger ; elle n’est pas encore finie, il reste quelques scènes à jouer pour que l’action soit terminée ; mais, si l’on ne tient pas à les entendre il les passera ; un des acteurs s’avancera devant les spectateurs et viendra leur raconter le dénoûment en quelques mots[1]. Voilà un procédé très primitif ; mais que voulez-vous ? ils s’impatientent ; comme il leur a fallu se lever de bonne heure, quelques-uns n’ont pas pris la précaution de déjeuner, ils ont faim, ils ont soif ; il faut leur permettre de rentrer chez eux au plus vite. Sans doute la belle ordonnance des pièces grecques qui servent de modèle au théâtre latin risque d’être compromise ; on dira que les règles sont violées : qu’importe ? Y a-t-il d’autre règle que de contenter les spectateurs ? C’est pour eux que la comédie est faite :


Horum causa hæc agitur spectatorum fabula.


Il faut donc avant tout qu’ils soient servis à leur gré : Plaute ne connaît pas d’autre poétique.

On lui a très durement reproché ce soin qu’il avait de plaire au public. Horace a dit de lui « qu’il ne cherche qu’à mettre un écu dans sa bourse et que le reste lui est indifférent. » Ce mot cruel est injuste s’il signifie que Plaute était un de ces hommes avides qui ne se sont préoccupés que de faire fortune. Le pauvre homme n’avait pas de visées si hautes, il voulait seulement se procurer de quoi vivre. Il avait connu la misère, et de toutes les misères la plus pénible, celle qui vient après l’aisance : Varron raconte, — et nous n’avons aucune raison qui nous empêche de le croire, — qu’il s’était ruiné dans des entreprises commerciales ; il fut forcé, pour ne pas mourir de faim, de louer ses bras à un boulanger et de tourner la meule. On comprend qu’il ait conservé un souvenir amer de cette mésaventure, et qu’il soit heureux démettre dans sa bourse cet écu qui le sauve de la meule et du boulanger. Mais, pour le gagner, il faut réussir, car les auteurs ne sont payés qu’en raison du succès qu’ils obtiennent. Ces applaudissemens que

  1. Dénoûment de Casina.