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Plaute mendie à la fin de ses pièces ne sont pas seulement pour lui une satisfaction d’amour-propre, ils sont une impérieuse nécessité. Faut-il s’étonner qu’il ait tout fait pour les mériter ?

Mais voici ce qu’il importe de remarquer : ces sacrifices qu’il faisait pour être applaudi ne lui ont au fond rien coûté ; les goûts du. public étaient les siens, il se contentait en le contentant ; c’est ce qui s’explique, je crois, par le milieu d’où il est sorti et la façon dont il a vécu. Sa jeunesse est parfaitement ignorée, mais il est très vraisemblable que son éducation ne s’est pas faite dans une école. Nous savons que, de bonne heure, il a fait partie du personnel d’un théâtre. Je ne crois pas que ce soit en qualité d’acteur[1] ; il devait être chargé de quelque entreprise accessoire, ou la fourniture des costumes et des objets nécessaires à la représentation, ou l’organisation de la claque, qui prit très vite une grande importance. Il s’était donc engagé dans quelqu’une de ces troupes errantes qui jouaient à Rome et dans les principales villes de l’Italie; il l’avait suivie dans ses pérégrinations, et s’était ainsi familiarisé avec le théâtre. Il avait connu de près les auteurs qui la fournissaient de pièces traduites du grec[2] et les acteurs qui les représentaient ; il s’était instruit par les succès et par les chutes. On comprend que, plus tard, quand des spéculations commerciales l’eurent réduit à la misère, l’idée dut lui venir naturellement d’imiter ce qu’il avait vu faire et de composer à son tour des comédies.

Ainsi il possédait, quand il commença, ce qui vaut mieux souvent que les leçons des professeurs, l’expérience ; il n’avait guère de souci de la perfection littéraire, n’écrivant pas pour des lecteurs. Il ne songeait qu’à ces gens qui, aux jours de fête, s’entassaient dans un théâtre pour entendre une pièce nouvelle, et ceux-là, il savait, pour l’avoir vu de ses yeux, comment on arrive à leur plaire. Le public fut son premier maître, et je crois bien que, dans la suite, il n’en a jamais eu d’autre. Il ne paraît pas avoir été,

  1. C’est l’opinion de Ritschl. Récemment M. Léo l’a combattue dans ses Plautinischen Forschungen, et soutient que Plaute avait dû commencer par être acteur. Mais les expressions dont se sert Varron, le seul qui ait raconté ces événemens, ne me semblent pas favorables à cette supposition. Sans doute Livius Andronicus jouait lui-même ses pièces ; mais depuis cette époque il s’était formé des troupes de comédiens où les rôles étaient tenus, en général, par des esclaves. Plaute parle ordinairement des acteurs avec un certain mépris. Cette question a été très bien débattue par M. Marx dans la Zeitschrift für die Œsterreichischen Gymnasien, 1898.
  2. Il est question dans le prologue de la Casina de « cette fleur de poètes qui vivaient alors » ; nous ne connaissons plus aujourd’hui que Plaute et Nævius.