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justice, mais il reste vrai qu’elles sont loin d’être également populaires chez tous les peuples ; et chacun, par-là, montre le fond de son âme, puisqu’il révèle son idéal directeur. Il n’est donc pas sans intérêt de se demander quel est le fond de l’âme française.


I

Trois théories se partagent aujourd’hui la pensée et l’action. La première, qui pourrait s’appeler le naturalisme individualiste, a fleuri surtout en Angleterre, chez les économistes, et tend à l’omnipotence de l’individu. La seconde, qui est le naturalisme collectiviste, est surtout allemande ; ce système va jusqu’à s’intituler matérialisme et tend à l’omnipotence de la société. La troisième est l’idéalisme moral et social, qui est surtout français et qui, par l’extension de l’idée de justice, poursuit le développement simultané de l’individu et de l’Etat.

L’essentiel du naturalisme économiste, c’est de ramener toutes les lois à des lois naturelles, de nier qu’on puisse modifier ces dernières et de les imposer ainsi à la société humaine. Certes, au sein même de la conscience, les économistes nous montrent avec raison des forces qui sont vraiment la part de la nature en nous ; je veux dire les besoins, les intérêts, les désirs. Mais est-ce là tout l’homme ? Grâce à la pensée, nous concevons une nature meilleure ; grâce à la volonté, nous pouvons et nous devons réaliser cette nature meilleure. Un économiste éminent me disait un jour : — « Comme la chimie, l’économie politique est une science et n’a pas d’entrailles. » Je ne pus m’empêcher de lui répondre : — « Quand la chimie étudie des acides et des alcalis, ainsi que leurs réactions, elle s’occupe de « choses insensibles » et de « lois naturelles » sur lesquelles notre volonté est sans action ; quand, au contraire, l’économie politique étudie la production, la distribution et la consommation, elle s’occupe d’êtres sentans et, qui plus est, moraux ; leurs relations ne sont plus de simples lois fatales entre des choses ; elles peuvent et doivent être modifiées en vue d’un idéal de justice. Dès lors, de deux choses l’une : ou l’économiste doit se contenter d’étudier les rapports économiques, abstraction faite de tous les autres rapports, en se gardant de confondre la partie avec le tout, en s’abstenant aussi de tout précepte ou de tout conseil pratique ; ou, s’il veut passer aux applications, il faut qu’il rétablisse la réalité concrète et, par