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l’acte d’abdication qu’après comme avant, elle restait exempte « de toute sujétion et obéissance et n’était responsable qu’à Dieu de ses actions. » Aussi était-ce à Dieu seul qu’elle entendait répondre de l’assassinat de Monaldesco, et Dieu l’inquiétait peu; elle n’avait aucune difficulté à craindre de ce côté : « Il m’aurait punie, écrivait-elle, si j’avais pardonné au traître son énorme délit. » Quand Mazarin lui fit représenter par Chanut qu’elle ferait bien, dans son propre intérêt, de masquer la vérité en attribuant la mort du marquis à une rixe survenue entre ses courtisans, elle lui répondit: « Pour l’action que j’ai faite avec Monaldesco, je vous dis que, si je ne l’avais faite, je ne me coucherais pas ce soir sans la faire, et je n’ai nulle raison de m’en repentir, mais j’en ai plus de cent mille d’en être ravie. » Au surplus, il est presque certain que, pendant la minorité de Charles XI, dont la santé donnait des inquiétudes, elle caressa la folle espérance de recouvrer cette couronne dont elle avait fait si bon marché. On sait aussi qu’elle avait rêvé de devenir reine de Naples avec l’aide de la France ; plus tard, elle rêvera de devenir reine de Pologne. Elle admirait Descartes; mais la philosophie n’eut jamais rien à voir ni dans ses imaginations ni dans ses renoncemens. Durant toute sa vie, elle fit peu de cas de ce qu’elle avait, et, désirant ce qu’elle ne pouvait avoir, elle courut toujours après une ombre.

Si ses panégyristes lui ont attribué une élévation dans les sentimens, une magnanimité qu’elle ne se piquait point d’avoir, ses détracteurs ont été souvent injustes à son égard. Que dirons-nous des protestans qui lui reprochaient amèrement d’avoir abjuré la foi dont son père avait été l’héroïque et glorieux champion? Que dirons-nous des catholiques qui se plaignaient que la nouvelle convertie les compromit, qu’elle ne fût point une sainte ? En avait-elle pris l’engagement? Le pape Alexandre VII s’était fait de grandes illusions. Il se figurait que, dévorée du zèle de la maison du Seigneur, cette dévote couronnée ne prendrait à cœur que les pratiques religieuses, qu’elle édifierait la chrétienté par sa ferveur et ses obéissances, qu’il pourrait l’offrir triomphalement en spectacle aux hérétiques et qu’un jour elle grossirait la liste des saints du paradis. Il était si sûr de son fait qu’il avait recommandé aux cardinaux, en plein consistoire, de veiller sur leur conduite, pour ne la point scandaliser. Il la connaissait peu, elle s’était réfugiée à Rome pour y cultiver ses goûts et avec le ferme propos d’y être heureuse, et une grande liberté d’allures et de langage était nécessaire à son bonheur. Elle écrira en 1666 : « Je vous prie de dire au Père Fozio, de ma part, qu’il perd son temps à prier Dieu que je devienne sainte, car je n’aurai