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après l’abdication, dit son biographe, ne fut qu’une série d’échecs. » Elle raisonnait admirablement sur la politique générale de l’Europe, sa correspondance avec Azzolino abonde en considérations sur les affaires du temps qui font honneur à sa perspicacité. Mais, dans la conduite de sa vie, elle n’était point politique ; elle s’abandonnait trop à ses passions, à son humeur. Elle écrivait au cardinal « que les péchés d’omission sont tous mortels en ceux qui gouvernent. » Péchés d’omission, péchés de commission, on la prit souvent en faute. Plus habile à former des plans qu’à les exécuter, elle était riche en idées ; ce qui lui manquait, c’était la main légère et heureuse.

Elle était arrivée à Hambourg après trente et un jours de voyage, fraîche, alerte, fière d’avoir mis sur les dents toutes les personnes de sa suite : « Vous m’accusez de voyager comme un esprit, écrira-t-elle au cardinal en 1668, et que cette manière tue tous ceux qui ont du corps; mais j’ai à vous demander si vous aimez mieux me faire mourir ou faire mourir les autres, car il est certain que de voyager à ma mode les fera crever et que, si je voyage à la leur, j’en mourrai aussi. » Elle ne tarda pas à s’apercevoir que, comme tout le monde, elle avait un corps. Elle souffrait d’une douleur au côté, maigrissait ; tourmentée par la soif, elle passait des journées entières enfermée dans sa chambre, où elle dînait, travaillait, faisait dire la messe et donnait ses audiences. La mélancolie la rongeait ; un médecin italien définissait son mal « un accident hypocondriaque, » et déclarait que tout venait de l’âme. Elle regrettait Rome, sa vraie patrie, et le beau cardinal qui avait su trouver le chemin de son cœur. Aussi bien les hivers du Nord, dont elle s’était désaccoutumée, lui paraissaient terribles : « À l’heure que je vous écris, il faut tenir l’encre continuellement auprès du feu pour l’empêcher de se glacer. Mes doigts sont si gelés que je ne saurais tenir la plume, et en vérité je crois que tout gèle, jusqu’à l’esprit, en ce pays qu’on peut dire maudit de Dieu en toutes les manières. » Et pourtant, par amour du paradoxe, quoi qu’on pût lui dire, elle avait toujours la tête nue, ne portait jamais de fourrures, s’obstinait à dormir dans une chambre sans feu.

Ce n’est pas seulement du climat qu’elle se plaint et d’un pays sauvage où l’on ne trouve que « des citrons pourris ; » elle professe un souverain mépris pour tous les habitans « de la puante et barbare Allemagne. » Elle déclare « qu’il vaut mieux être hérétique qu’Allemand, car enfin un hérétique peut devenir catholique, mais une bête ne peut jamais devenir raisonnable. » Elle a décidé que, « de tous les animaux qui sont au monde, il n’y en a point qui ressemblent moins à