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l’homme que les Allemands, » qu’ils sont tous stupides et ivrognes : « J’ai un avertissement à vous donner pour le Conclave, et c’est, puisque vous y aurez trois Allemands, que l’on fasse grande provision de vin, et que l’on sache que ces messieurs ont besoin de plus de vin en un jour que tout le reste du Sacré-Collège n’en consommera tout le temps que durera le Conclave. Au reste, qu’on ne fasse pas grand cas de leur parole, car, s’ils la donnent quand ils sont ivres, ils la rétractent quand ils sont à jeun, et tout ce qu’ils font à jeun est nul quand ils sont ivres. » Elle traite les Allemandes d’ânesses à deux pieds. Elle en a découvert une qui, de peur de se gâter la vue, a juré de ne plus lire qu’un seul livre, intitulé : Compendium de la philosophie d’Aristote. Tel est le génie des Allemandes : le latin « ne sert qu’à les rendre plus sottes que la nature ne les fait à l’ordinaire… Je crains de prendre l’air du pays, car je vois des Italiens qui le prennent, et par là je crains qu’il ne soit contagieux. » Elle est devenue Romaine dans l’âme et regarde de haut en bas quiconque a eu le malheur et la honte de naître au nord des Alpes.

Elle méprise les barbares et elle éprouve une sincère indignation contre tout mortel assez audacieux pour entrer en contestation avec elle, pour discuter ses ordres et ses caprices, ou assez sot pour ne pas comprendre que la reine Christine de Suède était une femme unique, qui avait reçu du ciel le don précieux d’avoir toujours raison. Les plus grands personnages sont à ses yeux des cirons, et elle n’est tenue à rien envers qui que ce soit. Elle avait eu, contrairement aux lois du pays, la prétention d’exercer librement son culte durant son séjour en Suède. On lui fit savoir qu’on ne lui permettrait pas même d’aller ostensiblement entendre la messe chez l’ambassadeur de France ; on exigeait qu’elle se rendit chez lui sous le prétexte de lui faire visite : « — Quoi ! s’écria-t-elle, moi, moi, j’irais rendre visite à Pomponne ! S’il me proposait cela, je lui ferais donner des coups de bâton, même en présence de son propre roi. » Sa personne lui est sacrée, et tout lui est permis ; elle ne reconnaît d’autre loi que son bon plaisir. Non seulement elle s’arroge le droit de faire bâtonner Pomponne, elle se croit autorisée en toute circonstance à se faire justice à elle-même, à retrancher du nombre des vivans quiconque, comme Monaldesco, a trahi sa confiance, ou lui a manqué de respect. « Il m’est plus facile, disait-elle, d’étrangler les gens que de les craindre. » Elle écrit à Azzolino, le 20 août 1688 : « Si le marquis del Monte est coupable des crimes dont on l’accuse, il est indigne de vivre et de me servir. Je vous l’envoie pour se justifier auprès de vous ou pour mourir. Prononcez-en