Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et beaucoup plus juste. Le paysan est un sujet d’art que le peintre toutes choses égales d’ailleurs, peut rendre infiniment mieux que l’écrivain, — et cela pour trois raisons.

C’est d’abord qu’un peintre qui consacre l’œuvre de toute sa vie, comme Millet, MM. Lhermitte et Jules Breton, à peindre les paysans, se trouve les étudier mieux. Quand l’écrivain parisien, comme M. Zola, s’en va dans la Beauce explorer la vie rurale, ce qui le frappe tout d’abord ce sont les aspects bruyans et passagers de cette vie : ce sont les drames de famille, les mots orduriers, les danses lourdes, les discussions avinées, les « soûleries, » — et quels que soient le talent, la pénétration ou même le génie de l’observateur, il est difficile que ces incidens ne lui masquent pas, ne lui obturent point la vie silencieuse, réfléchie, féconde, la trame admirable dont ce n’est là que la grossière broderie. Une feuille de peuplier, vue de près, cache le soleil. Mais quand cet écrivain s’est fait lui-même un rural, un de ces ruraux dont un « intellectuel » fameux a dit, dans une circonstance mémorable, qu’ils étaient « la honte de la France, » quand il vit longuement avec ceux qu’il entreprend de dépeindre, comme M. Pouvillon ou même M. Bodley, ou M. Bazin, quand ce qu’il cherche à en prendre, ce n’est pas une « interview » mais une vue interne, profonde, accoutumée, — alors sa sympathie s’éveille. Il perçoit ce qu’il y a sous l’apparente rudesse, qui, M. Bodley l’a dit, n’est qu’une écorce trompeuse ; il éprouve ce qui se cache de solidarité sous le couvert de l’égoïsme, et surtout il comprend quel sens profond et divinatoire de la vie ont, malgré leurs préjugés et leurs ignorances, ceux qui produisent les premiers élémens de la vie. Il en vient à aimer, en le comprenant mieux, ce quatrième ou ce cinquième État dont le romancier parisien n’a emporté qu’un sentiment de dégoût. Il y revient sans cesse. Et de cette vie brutale et grande, il peut dire ce que le pape Pie IX disait de Rome aux voyageurs qui la quittaient : « Si vous y êtes demeurés une semaine, adieu ! Si vous y êtes demeurés trois mois, — au revoir ! »

Ensuite, quand le peintre et le romancier connaîtraient également leur sujet, ils ne seraient pas également armés pour le rendre, et cela pour des raisons qui ne tiennent plus aux artistes eux-mêmes, mais aux conditions fondamentales des deux arts. Le roman est, par définition et par tradition, une histoire d’amour. C’est tout au moins l’étude d’un caractère aux prises avec ce sentiment