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que rendre intéressante l’histoire d’un prix Montyon. Au contraire, les plus beaux portraits de maître qu’on connaisse sont ceux des hommes ou des femmes de bien, petits bourgeois et bonnes ménagères, dont l’histoire ne dit rien.

Elle n’en dit rien, précisément parce que c’étaient des serviteurs silencieux du devoir. Aussi le peintre rend-il de son siècle un témoignage toujours plus favorable que l’historien. Quand on vient de lire les tragiques récits des guerres de religion dans les Pays-Bas, ou les mémoires scandaleux du XVIIIe siècle en France, il suffit, pour se faire une tout autre idée de ces époques et de ces sociétés, d’aller voir dans les musées les portraits savans et doux que les maîtres nous ont laissés. On comprend alors pourquoi ni les Pays-Bas ni la France n’ont péri. On comprend que, dans le même pays et à la même époque, il y a les vies dont les agitations sont intéressantes à raconter et qui défraient seules toute l’histoire et toute la littérature, et qu’il y a les vies, par milliers, par millions, qui n’ayant d’autres traits que ceux du labeur quotidien, ont échappé le plus souvent à l’attention des historiens, des romanciers, des poètes, et n’ont jamais occupé que les peintres : vies de paysans et d’ouvriers attentifs au lever et à la chute du jour, d’échevins obscurs et de prêtres modestes, vies qui n’ont cessé de produire le pain que nous mangeons en nous demandant si elles existent, vies de religieuses, comme celles de ce délicieux Ouvroir d’un béguinage à Gand, que M. Lhermitte expose au-dessus de ses vues de la terre, comme une bleuâtre vue du ciel : vies qui n’éblouissent pas, mais qui éclairent, qui ne frappent pas, mais qui émeuvent, qui n’étonnent pas, mais qui fortifient, — vies écoulées sans bruit, comme les eaux qui fertilisent et sans éclat, comme les fleurs qui guérissent…


III

N’en existe-t-il plus, et faut-il arguer de faux ces peintures ? Sont-elles, comme nous le supposions au commencement, le reflet d’une clarté qui a dès longtemps disparu de notre ciel ?

Des trois témoignages portés en ce moment sur les paysans par le romancier, le sociologue et le peintre, faut-il écouter les deux premiers seulement, parce qu’ils ont fait des enquêtes « documentaires » et laisser le troisième qui, sur tous les murs de ces Salons, nous affirme la continuité de la vie rurale, de ses fortes pensées et de ses traditions ?