Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans aimer Bonaparte, craindraient de se voir humilier au retour de la Monarchie, par le rétablissement des rangs. Beaucoup de gens redoutent la hauteur de la noblesse, si son éclat lui était rendu ; et l’on doit dire qu’en général, les gens de la Cour rentrés justifient un peu ces craintes. La morgue de certaines sociétés du faubourg Saint-Germain égale, et surpasse même, celle dont on se plaignait avant la Révolution. On s’imagine, dans beaucoup de cercles, qu’une des causes qui ont perdu la noblesse est de n’avoir pas su garder son rang, de s’être trop rapprochée de gens riches et des gens de lettres qui n’étaient pas nobles, d’avoir négligé l’étiquette, d’avoir brigué la popularité. On peut avoir raison, et ce n’est pas le lieu d’examiner si cette conduite n’était pas forcée par la nature même des choses, et si, dans les données existantes, on pourrait se conduire autrement. Mais on en conclut que, pour favoriser le retour de l’ancien ordre des choses, il faut renchérir sur tout ce qu’on a fait, et même renchérir de hauteur et de vaine gloire. Erreur complète : qu’on se plaigne de la perte de préjugés utiles, c’est tout simple ; mais qu’on espère les rétablir, c’est absurde. Le seul parti praticable, c’est de raviver ce qu’il y avait de vrai dans ces préjugés, parce que le vrai seul est impérissable, et de rejeter tout le reste, tout ce qui n’existait que dans l’opinion. Voilà ce qu’il serait important d’inculquer à certaines gens dont la conduite imprudente retarde d’une manière fâcheuse les progrès de la véritable opinion. Mais cette imprudence n’est pas la seule dont ils se rendent coupables. Sans songer aux espions qui les entourent, ils tiennent dans leurs cercles les mêmes discours qu’à Coblentz. Il n’y a pas longtemps que, dans une assemblée nombreuse, deux jeunes seigneurs réclamaient instamment, auprès d’un officier anglais, un débarquement en Bretagne et en Normandie, parce que, disaient-ils, leurs terres étaient situées dans ces provinces. L’Anglais lui-même en fut scandalisé.

De pareilles anecdotes ne se répandent que trop vite et révoltent bientôt une partie très nombreuse et très importante de la nation, qui voudrait le retour de la Monarchie, mais sans l’intervention des étrangers. Plus nous observons, plus nous sommes convaincus que la force d’inertie est la seule à employer aujourd’hui. Laissons aux événemens leur cours naturel. Sans être rapide, la pente paraît sûre ; et surtout, ne semons pas le chemin d’obstacles. Il en existe déjà dans l’opposition de l’intérêt personnel à celui de la France ; et la meilleure politique serait de persuader que ces