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obstacles sont imaginaires, et, s’il était possible, de les rendre tels.


Paris, le 1er octobre 1803.

Ce qu’on appelait autrefois le monde, la société, offre aujourd’hui à Paris le chaos le plus étrange et le plus piquant pour l’observateur. Les classes anciennes et nouvelles qui la composaient et qui la composent, se mêlent et se séparent, selon que l’amour-propre l’emporte sur l’intérêt ou lui cède, et malheureusement on trouve fort peu de gens, même dans la classe autrefois la plus honorable, qui n’obéissent qu’au seul sentiment de l’honneur. La conduite de ce qui formait l’ancienne cour est, en général, peu louable. On voit souvent les grands seigneurs d’autrefois, et même leurs femmes, dans les antichambres des puissans du jour. Cela n’empêche pas, il est vrai, que, rentrés chez eux, ils ne couvrent de boue l’idole qu’ils viennent d’encenser, mais moins par une véritable fierté, que par un reste de cette vanité qui les rendait autrefois odieux. On dit plus : on prétend que beaucoup d’entre eux trafiquent à beaux deniers comptans de leur crédit auprès des gens en place. Cela nous paraît difficile et surtout désagréable à croire. Cependant, nous savons d’une manière certaine qu’une femme de qualité, mère de deux ci-devant abbesses, a voulu vendre 400 francs une influence qu’elle n’avait pas sur un homme qui lui-même n’a qu’un bien faible crédit… Au reste, il n’y a pas, malheureusement, de bassesse humaine que l’observation ne puisse venir à bout d’expliquer. Tous ces grands, jadis si fiers, s’avilissent sans peut-être s’en douter, et cela par une suite de leur fierté même. Ils voient toujours une si grande distance entre eux et les parvenus qu’ils sollicitent, que le contact, et par conséquent la souillure qui en résulterait leur semble impossible. Ils regardent tout ce qui se passe, à présent, comme une farce qui ne peut durer, et ils dînent à la table d’un ministre ou d’un consul, comme ils auraient admis autrefois un bouffon à leur propre table, dans les jours du carnaval. La comparaison n’est pas entièrement fausse, et ils auraient raison sans doute, s’ils payaient les bouffons du jour comme ceux d’autrefois ; mais, au contraire, ce sont eux qui en reçoivent un salaire et bénéficient ainsi de tous les désastres de la révolution.

Au milieu de cette dégradation effrayante, on cite quelques hommes qui conservent de la dignité. Tandis que le duc de Luynes