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influences. Il est arrivé à Carthage ce que nous avons vu se produire en une faible mesure chez nous pour la Chine et le Japon. L’introduction de ces images japonaises, de ces vases, de ces objets aux formes étranges nous a initiés à tout un art qui a réagi sur notre céramique et sur notre peinture décorative. L’Egypte était loin d’être à une aussi grande distance de Carthage ; elle avait en outre le prestige que donne l’ancienneté et le raffinement d’une puissante civilisation ; aussi elle l’envahissait et la pénétrait de toutes parts ; on portait à Carthage des bagues, des bijoux, des colliers égyptiens ; les divinités de l’Egypte s’y introduisaient avec les amulettes que l’on vendait à la porte des temples et des cimetières, et, quand ils représentaient des femmes ou des déesses coiffées ou costumées à l’égyptienne, les Carthaginois ne faisaient sans doute que reproduire ce que la réalité leur faisait voir chaque jour autour d’eux.

Cette imitation un peu servile de la nature, assez rude, mais serrée de près, mordante et parfois satirique, nous apparaît de plus en plus comme le trait distinctif de l’art punique. Un masque d’homme, le seul de ce genre qu’on ait trouvé jusqu’à présent, nous en offre un exemple saisissant : la figure, ovale et osseuse, est encadrée de favoris ras, qui laissent la bouche et le menton à découvert ; le nez, très accentué, est traversé, de même que les oreilles, par un anneau d’or ; les yeux ont une expression singulièrement railleuse ; ils sont peints en blanc, la prunelle et les sourcils en noir ; les cheveux courts et crépus, s’arrêtent sur le front suivant une ligne droite qui va d’une oreille à l’autre ; toute la partie du visage où se montre la peau était fortement colorée en rouge. Les pierres gravées, d’un travail si fin, où l’on sent l’influence de l’art grec, nous offrent à plusieurs reprises le même type d’homme, aux cheveux crépus, rasés par devant, aux favoris courts. Certains des plus anciens monumens de la céramique grecque nous avaient déjà montré des guerriers grecs portant les favoris ; mais quelle chose curieuse que cet anneau de nez, ce nezem, que nous rencontrons pour la première fois porté par un homme, et quelle révélation ! C’est bien ainsi que l’on se représente ces vieux loups de mer carthaginois.

On trouve aussi dans ces tombes d’autres masques, qui ne sont plus des portraits, mais de vrais masques grimaçans. L’un, représente un vieillard à la face glabre et ridée ; le nez est crochu et le front dénudé fuit en arrière ; le rire qui contracte ses traits