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fait saillir les pommettes et forme autour de sa bouche en entonnoir un double cercle de plis ; les yeux sont figurés par des trous en forme de croissans renversés ; sur chacune des pommettes on a appliqué une petite pastille. Un autre, à la fois grotesque et sinistre, est encore d’une plus rare puissance d’expression. Le front, bas et étroit, est fortement bombé ; les pommettes saillantes et anguleuses ; le nez, renfoncé à sa base, suit le mouvement des joues ; les yeux obliques, formés de deux grands trous noirs, sont taillés dans l’épaisseur du masque, de même que la bouche, dont les lèvres forment un bourrelet rappelant le masque tragique grec ; enfin, entre les deux sourcils, il porte le disque enfermé dans le croissant renversé ; et toute cette figure aux traits de travers change d’expression suivant l’angle sous lequel on la regarde.

Les Carthaginois ont eu le sens de la caricature. Le réalisme, c’est-à-dire la reproduction de la nature sans idéal, amène à en mettre en relief les côtés grotesques et à en exagérer les traits. Cette préoccupation se trahit dans toutes les représentations figurées des Carthaginois, sur leurs pierres gravées comme sur leurs statuettes ; ils aiment à rendre l’homme dans des attitudes qui n’ont rien de la noblesse des figures grecques ; ils aiment aussi à représenter des singes.

Elle éclate jusque dans leurs divinités, ces nains obèses, aux formes trapues, d’une nudité parfois choquante, qui tirent la langue, ces têtes de diablotins cornus, ou ces monstrueux accouplemens d’êtres de natures et de sexes différens. Leur Hercule, qui est le prototype de l’Hercule grec, en a les muscles et les attributs, mais c’est un nain grotesque, qui lutte avec des grues plus grandes que lui et, tout en étant nain, il est déjà terrible. Ils ont senti les contrastes et la dérision des choses humaines et ils en ont les premiers rendu le caractère tragique et redoutable.

Peut-être est-ce là le côté le plus original de leur art, celui par où il s’est imposé aux peuples avec lesquels ils étaient en contact. Certains dieux de l’Egypte et non des moindres, le dieu Bès, le dieu Set, Phtah embyron, toutes ces divinités typhoniennes, à la fois grotesques et malfaisantes, qui se sont introduites de bonne heure dans le panthéon égyptien, si même elles ne sont pas d’origine directement phénicienne, paraissent appartenir à ce vieux fonds de civilisation d’où la Phénicie elle-même est sortie, et dont elle a gardé le type en quelque sorte classique.

Par là s’expliquent ces idoles grossières, ces fétiches, ces dieux