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Elle paraît avoir voulu donner et retirer à la fois, faire et déjà se repentir d’avoir fait. Mais, si ce n’est une hypocrisie de la loi, c’est une faiblesse, on ne sait quelle vague terreur dont elle doit maintenant se guérir. De deux choses l’une, en effet ; ou il est bon qu’il y ait des syndicats et des unions de syndicats, et alors il faut qu’ils puissent être, et être le plus utilement, le plus productivement, le plus abondamment, le plus pleinement possible ; ou il y a des inconvéniens à ce qu’ils soient autrement que comme des apparences, et alors ce n’est pas la peine qu’ils soient. Mais ce sont incontestablement les avantages qui l’emportent : il est bon qu’il y ait des associations professionnelles, et qu’elles soient nombreuses, et qu’elles soient fortes, et qu’elles soient riches ; car, plus riches elles seront, plus elles vivront, et plus elles vivront, plus elles « enrichiront la vie sociale. »

Voyez l’Angleterre des Trade-Unions. À la fin de 1897, on n’y comptait pas moins de 1 287 Unions, qui, d’un bout à l’autre du pays, groupaient à peu près 1 610 000 adhérens. Le budget de ces unions était royal, puisque les cent plus importantes d’entre elles, à elles seules, après avoir, dans l’année, encaissé 1 981 971 livres sterling (en chiffres ronds cinquante millions de francs) et dépensé 1 896 072 livres (presque quarante-huit millions) avaient encore en réserve 2 273 619 livres sterling, soit 56 840 475 francs, pour 1 050 000 membres environ ; plus de deux livres sterling par tête[1].

Et que dire des gigantesques « Unions » américaines : de la Socialist Trade and Labor Alliance, avec ses 25 000 compagnons, des 200 000 Knights of Labor ou Chevaliers du travail, des 650 000 sociétaires de l’American Federation of Labor, dans laquelle trouvent leur centre 7 000 unions locales, dont une de 60 000, deux de 40 000, une dizaine au-dessus de 20 000 membres ? Aux États-Unis comme en Angleterre, l’association est très puissante ; on ne s’aperçoit pourtant pas que ni l’Etat anglais, ni l’Etat américain soient débiles.

Chez nous, en dépit de ses réserves et de ses lacunes, la loi de 1884 est loin d’avoir été vaine. À voir ce que les syndicats ont pu faire en quinze ans et avec si peu de ressources[2], on est émerveillé de la variété de leurs efforts et de leurs aptitudes ; et, grâce à eux,

  1. Fifth annual Abstract of Labour statistics of the United Kingdom, 1897-98.
  2. Voyez Annuaire des syndicats professionnels, publication de l’Office du travail, 9e année, 1897, p. XXXI, XXXII et p. LIII.