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une longue compression, l’association politique a reparu, est-ce en pays anglo-saxon qu’elle s’est retrouvée comme chez elle, et tout acclimatée, incorporée au sol, pour ainsi parler, ou fondue dans l’atmosphère.

Les races germaniques, sur le continent, avec un amour presque égal, se nourrissent de cette liberté ou la respirent. Ecoutez un Allemand : « Les associations sont l’un des pouvoirs de la nation, l’œuvre libre de la société ou des particuliers. Chacun doit pouvoir y entrer et en sortir librement. Ces groupemens multiples enrichissent la vie sociale, et ont une influence indirecte sur l’Etat, dont ils préparent ou préviennent l’action<ref> Bluntschli. le Droit public général, p. 407 : la Politique, p. 128. </ref/>. »

Retenons ceci : la libre association enrichit la vie sociale. Par elle-même, elle ne contrarie pas l’État, elle le décharge, l’aide et le double ; elle ne l’affaiblit pas, elle le consolide ; elle ne l’entame pas, elle le complète ; elle n’empiète pas sur lui, elle lui fait des dessous. Le mal profond de la société française, la cause de ses tremblemens et de son instabilité, c’est que l’État n’y a point de dessous, qu’il ne porte sur rien, que, comme on dit, il est en l’air. Et c’est la faute de la Révolution, qui a démoli et n’a pas réédifié, qui a été — je ne sais pas de terme plus juste — inconstructive. Mais il y a mieux à faire que de le lui reprocher : sans vouloir rebâtir ce qu’elle a détruit, — et qu’elle a bien fait de détruire, — construisons ce qu’elle n’a pas construit. Elle a détruit la corporation fermée, et elle a bien fait, mais elle n’a pas construit l’association libre ; construisons-la. « Enrichissons » par la libre association la vie nationale : rendons-lui sa place dans la vie économique d’abord, et ensuite dans la vie politique de la France : asseyons et fixons sur elle l’État enfin réorganisé.


III

Premièrement dans l’ordre économique. La « cellule » est ici l’association professionnelle. La loi du 21 mars 1884 n’est pas mauvaise ; elle est imparfaite ; elle ne pèche que par insuffisance : il faut donc la reprendre, l’achever ; et comment ? Cette loi, on l’a vu, crée ou reconnaît des êtres moraux ou légaux de deux degrés : les syndicats et les unions de syndicats ; mais, aux uns, elle ne laisse que relativement peu de ressources, aux autres pas du tout.