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le combattre que de les lui prendre ? Or il y a certainement, dans ce programme, au milieu de beaucoup d’utopies, des choses qui sont réalisables, qui seront un jour réalisées, et qui, par rapport à ce qui est, marqueraient une amélioration. Ne lui en abandonnons donc pas le monopole. Faisons une politique plus hardie, plus intelligente, plus souple, plus compréhensive, plus vivante que cette politique aveugle et sourde. Habituons-nous à regarder un peu moins avec qui nous sommes, un peu plus vers quoi nous marchons. Vidons le socialisme de ce qu’il a de positif et de pratique, et laissons-le avec son enveloppe de chimères, si léger que le vent l’emportera dans les nuages. Et, pour y réussir, quelles que soient les espérances qu’il puisse fonder sur l’association, répandons-la, et apprenons à nous en servir.

Quand la société aura retrouvé sa forme, quand la nation aura de nouveau des cadres, quand le grand organisme de l’Etat n’étouffera plus les organismes plus petits, devant cette multitude de petits organismes bien vivans, communes et associations, les grandes questions contemporaines ne se poseront plus dans les mêmes termes : elles se fractionneront ; la question sociale se morcellera en questions communales ou corporatives ; le socialisme s’infusera, se diluera et, par conséquent, s’atténuera dans les institutions locales et les associations libres.

Faut-il une autre conclusion et n’a-t-on pas déjà conclu ? Nous ne savons que trop ce que la démocratie inorganique a fait de nous ; nous commençons à pressentir ce que la démocratie organisée en pourrait refaire. Organisons donc, économiquement et politiquement, par l’association, la démocratie française, qui se perdrait et nous perdrait à vouloir tenir la gageure de vivre sans organes de démocratie. Enseignons-lui, répétons-lui, persuadons-lui que, de ces organes, l’association libre est le premier et le plus efficace. — Et, si l’on aime les formules, malgré ce qu’elles ont de rigide, et les prédictions, malgré ce qu’elles ont d’aventureux, en voici une que je veux bien risquer, tant les signes sont évidens : La démocratie française s’organisera par l’association, — ou elle ne sera pas.


CHARLES BENOIST.