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ressenties n’est comparable à ce que m’a fait éprouver cette considération de l’hérésie aggravée et perpétuée par la discorde. Mais, dans l’intensité de mes tourmens, je me sentis tout à coup soulagé par la certitude que Dieu s’apaisait en me choisissant comme un instrument de salut. Il est vrai qu’il me fallait, pour cela, jeter dans le péril sans réserve, et j’y courus, sur cet appel du prophète : Tollite me in mare et cessabit mare a vobis. »

Heures d’angoisse, scrupules, doutes amers qui ne sont que le prélude des autres tourmens où la confiance dans l’homme attendu et choisi jettera plus tard ces mêmes âmes passionnées, ces mêmes esprits pénétrans. C’est l’heure, en effet, où les fidèles de Richelieu, les fidèles pour la vie, commencent à s’imposer le plus dur de tous les sacrifices, celui de suivre sa robe partout où elle les conduira. En ce moment précis, il est sinon en accord, du moins en sympathie avec tout ce groupe qui se réclame de lui. Il les réunit encore d’un geste affectueux, quand il écrit au Père Arnoux : « Nous avons tous pour but la gloire de Dieu, le bien de la France et le contentement de Leurs Majestés… Vous en recevrez un témoignage, ainsi que les bons Pères Suffren, Bérulle, Joseph et moi avons décidé… » Voilà le groupe. Et pourtant, malgré ces paroles touchantes, Richelieu regarde ailleurs ; et cela, le Père Joseph ne peut l’ignorer. Cependant il ferme les yeux, il va, il s’engage, à la suite de son héros, dans la voie douloureuse qui conduit à l’alliance avec les protestans en Europe, et qui n’aura de station bénie que la prise de la Rochelle.

Mais si Richelieu ménage tout ce monde et s’il parle leur langage, il ne leur découvre pas ses véritables desseins. La rupture complète avec la Cour n’étant pas sa politique, il se dit, qu’un jour où l’autre, ces gens, qui sont des pacifiques, des intermédiaires-nés, lui serviront. En attendant, il se sert de leur caution qui lui permet de pousser plus avant sa dangereuse partie.

Il est une circonstance, cependant, où son jeu se découvre, c’est quand sa passion parle ; c’est quand il se trouve face à face avec son rival Luynes. Alors, les épées se croisent ; point de feintes ; des traits nets et des coups droits. Pendant tout le cours de l’hiver, une correspondance active s’est engagée entre les deux hommes ; ils se pressent ; ils se heurtent ; le corps à corps les enlace, jusqu’à faire entendre leur souffle, dans ces palpitantes étreintes.

Au début, l’évêque y met encore quelque ménagement ; en octobre 1619, moment où Luynes envoie son frère, Brantes