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L’innovation suivante est beaucoup plus grave. La révision peut désormais être demandée, non seulement dans les trois cas prévus par l’ancien Code, mais encore « lorsque, après une condamnation, un fait viendra à se produire ou à se révéler, ou lorsque des pièces inconnues lors des débats seront représentées, de nature à établir l’innocence du condamné. » L’amendement de M. Martel, écarté par le Corps législatif du second Empire, prévaut devant le parlement de la troisième République, ou peu s’en faut. « Il y a lieu d’étendre par une disposition générale, lit-on dans le rapport de M. Bérenger au Sénat, le droit de demander la révision à tous les cas où l’erreur judiciaire peut être reconnue. » Toutefois, tandis que la Chambre des députés se bornait d’abord à exiger, pour admettre la recevabilité des demandes, qu’un fait vînt à se produire ou à se révéler d’où parût résulter la non-culpabilité du « condamné, » le Sénat, plus circonspect, réclamait la production ou la révélation d’un fait propre à établir son innocence, » en précisant que le fait devait avoir été révélé après la condamnation, et en assimilant à cette révélation la production de pièces nouvelles, inconnues lors des débats.

M. Ballot-Beaupré, dans le rapport qu’il a présenté, le 29 mai 1899, à la Cour de cassation sur l’affaire Dreyfus, a fait ressortir la portée de cet amendement. Le Sénat, en exigeant la révélation d’un fait « propre à établir l’innocence, » a voulu dire que de simples doutes sur la culpabilité ne suffiraient pas à légitimer la révision. Sans doute, il n’a pas entendu décider que la démonstration immédiate de l’innocence devait ressortir d’un fait nouveau[1] ; mais il en doit résulter du moins « une présomption particulièrement grave d’erreur. »

Mais ne nous figurons pas que la réforme ait mis un terme aux anciens dissentimens. Un assez grand nombre de jurisconsultes ont protesté contre cette extension, en faisant observer que la multiplicité des révisions achèverait d’ébranler le respect de la chose jugée. L’accusé d’hier saisira donc le moindre prétexte pour se transformer en accusateur et mettra son juge sur la sellette. Avec une « bonne presse, » il aura facilement sa revanche. On a

  1. Autrement, le renvoi à un second tribunal de répression serait sans objet ou aboutirait fatalement à une contradiction. C’est pourquoi la chambre criminelle avait dit, le 23 avril 1896, « qu’il n’échet pour la Cour de cassation, alors qu’il y a possibilité de procéder à de nouveaux débats oraux devant le jury, de constater elle-même l’innocence ou la culpabilité de l’accusé. »