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en brèche, sur beaucoup de points, par d’immenses compagnies, nationales et internationales. Le système protecteur, en beaucoup de pays, ne fait que favoriser ce mouvement. Dès lors, il est difficile de ne pas prévoir le moment où il faudra, pour protéger le public contre les grandes compagnies, établir un droit syndical, approprié aux diverses relations où peuvent mutuellement se trouver les individus, les associations de capitalistes, les associations de travailleurs, et enfin l’Etat.

Si, d’ailleurs, les grands syndicats industriels et commerciaux ont des inconvéniens pour ceux qui voudraient leur faire concurrence, ils ont aussi, pour le public, de grands avantages. Ils donnent aux prix plus de fixité ; ils ne les augmentent généralement pas autant qu’on pourrait le croire, surtout en Europe ; souvent même ils les diminuent. Leur intérêt bien entendu n’est pas d’aller trop loin, mais de conserver une certaine modération, d’autant plus que l’exagération des prix restreint la consommation et finit par faire perdre les producteurs ou vendeurs. Malgré ces avantages, il est regrettable que les grands syndicats anonymes et irresponsables socialisent en vue des spéculateurs un grand nombre de « services » industriels ou commerciaux qui devraient avoir surtout en vue l’intérêt des consommateurs. On voit donc arriver le moment où l’Etat ne pourra plus appliquer aux grandes associations la maxime du laissez-faire, où il sera obligé de contrôler, de prendre part lui-même à certaines opérations, d’exproprier parfois pour utilité publique les grandes compagnies, enfin de se substituer à elles pour certains services devenus si généraux qu’ils intéresseront l’universalité des citoyens, au même titre que les postes et les télégraphes. Dans le commerce, les grands magasins, qui iront en se multipliant, sont un nouvel exemple de concentration. Les petits commerçans établis dans les grandes villes commencent à s’unir et parfois à fonder des sociétés par actions. Le vœ soli se vérifie partout. Si les économistes ont raison de constater la diffusion des titres de propriété, immobilière ou mobilière, ils ont tort de ne pas déduire du résultat final le déchet causé par la disparition parallèle d’un grand nombre d’artisans, de petits producteurs autonomes, « dévorés chaque jour par la grande industrie ou par le grand commerce. »

On peut donc accorder à l’école de Marx qu’il existe des courans de concentration. Mais la question est de savoir si ces concentrations se font généralement au profit d’individus, si elles ne